Institute for Integrative Psychotherapy

Artigos de Psicoterapia Integrativa



Honte et Arrogance vertueuse:
Perspectives transactionnalistes et Interventions cliniques

Richard G. Erskine

Traduction : Hélène CADOT

Extrait

La honte et l'arrogance vertueuse sont des dynamiques intrapsychiques qui aident l'individu à se défendre contre une rupture dans la relation. Cet article discute comment, à partir d'une perspective scénarique, la honte est composée de la croyance de scénario "il y a quelque chose qui cloche en moi", croyance dont la formation résulte de messages, de décisions, de conclusions face à des demandes impossibles, et de réactions défensives d'espoir et de contrôle.

De plus, si l'on se place du point de vue des Etats du Moi, la honte entraîne un amoindrissement de l'estime de soi, par soumission aux critiques, transposition de la tristesse et de la peur, et déni de la colère.

La honte archaïque peut être une fixation propre à l'Etat du Moi Enfant ou à l'Etat du Moi Parent.

Nous suggérons que l'arrogance vertueuse est le déni du besoin de relation.

Nous nous proposons de décrire la psychothérapie de la relation, orientée-vers-le-contact, qui met l'accent sur les méthodes pour poser les questions, s'harmoniser et s'impliquer.

La honte et l'arrogance vertueuse sont des mécanismes de protection qui aident l'individu à éviter la vulnérabilité à l'humiliation et à la perte de contact dans la relation. Lorsqu'une relation est entachée par les critiques, la ridiculisation, les reproches, les attributions, par le fait d'ignorer l'autre, ou tout autre comportement humiliant, le résultat en est une vulnérabilité accrue dans la relation. Le contact ou l'attachement sont rompus. La honte et l'arrogance vertueuse sont le résultat d'une disgrâce ou d'un reproche humiliants, et d'une perte de l'estime de soi.Tant la honte que l'arrogance vertueuse reflètent les défenses auxquelles le sujet a recours pour éviter de vivre à quel point il est vulnérable et impuissant face à la perte d'une relation. En même temps, la honte est l'expression d'un espoir inconscient que l'autre personne prenne la responsabilité de remédier à la rupture survenue dans la relation. Quant à l'arrogance vertueuse, elle implique le déni du besoin de relation.

Une expérience personnelle

Il y a quelques années, un collègue m'avait téléphoné, et avait critiqué mon comportement, définissant mes motivations comme pathologiques. Bien que je me sois excusé, que j'aie tenté d'expliquer la situation et de rectifier par écrit, la relation antérieurement chaleureuse et respectueuse s'était terminée en une absence de communication. A chaque nouvelle tentative pour m'adresser à cette personne, je butais sur les mots, je me ressentais inepte, et j'évitais de parler de mes sentiments et de notre relation. L'expérience d'être humilié par un collègue que je respectais me laissa plein d'une honte paralysante. J'aspirais à la reprise de la relation. Je souhaitais que cette personne porte un intérêt à mes sentiments et à notre manque de contact, qu'elle reconnaisse et réponde sur un mode empathique et dans la réciprocité, à l'expérience humiliante qui avait été la mienne, lors du coup de téléphone.

Le sentiment de honte et mon aspiration me conduisirent à examiner les réactions internes à l'humiliation. Dans mes séances de psychothérapie, je revécus le petit écolier que j'avais été, en deuxième et troisième année d'école primaire, plein de blessures et de craintes et s'adaptant à son instituteur extrêmement critique. Le bénéfice personnel que je retirai de la thérapie fut la récupération de ma sensibilité aux autres et à moi-même, et un sentiment de contentement personnel. Le bénéfice professionnel consistant à avoir résolu ma honte fut une évolution de mes méthodes thérapeutiques et de mes interactions dans ma pratique clinique. Je me trouvais aux prises avec plusieurs questions : quand et comment fais-je des attributions sur les personnes ? Est-ce que j'impute au lieu de faciliter la compréhension, par la personne elle-même, de son comportement ? quel est l'effet de mon affect interne ou de mon comportement sur l'autre personne ? Est-ce que j'induis, dans mes tentatives à visée thérapeutique, qu'il y a "quelque chose qui cloche" chez le client ?

Les notions théoriques sur la honte et l'arrogance vertueuse, les interventions cliniques présentées dans cet article sont le fruit de plusieurs années passées à examiner mes erreurs de thérapeute, les accrocs à la relation que j'ai moi-même créés dans la relation thérapeutique avec les clients, et les méthodes risquant d'accroître le sentiment de honte du client. Un questionnement respectueux orienté vers le vécu phénoménologique, par chaque client, de notre processus thérapeutique, a permis une exploration, transaction par transaction, de mes défauts d'empathie, de mes erreurs de perception des niveaux développementaux de fonctionnement, et de mes maladresses pour harmoniser mes affects - les interruptions de la relation-en-contact. Lorsque je prends la responsabilité des interruptions dans la relation thérapeutique, ma thérapie se centre sur l'harmonisation à l'expérience du client en termes d'affect, et sur la réponse avec l'affect correspondant. Quant à mon implication en tant que thérapeute, elle réside dans ma cohérence, ma responsabilité, et ma fiabilité. C'est dans l'exploration et la résolution des interruptions de notre relation que j'ai la plus grande efficacité pour découvrir le noyau des croyances de scénario, qui déterminent les expériences interpersonnelles significatives dans la vie de mon client.

La thérapie en Analyse Transactionnelle dans les années 1970 et au début des années 80 a été marquée par la définition des comportements des clients, et biaisée par des méthodes cliniques mettant l'accent sur l'explication, la confrontation et le changement comportemental. De telles méthodes éclipsent souvent les enjeux sous-jacents, en lien avec la honte et l'arrogance vertueuse. Définir le sentiment d'un client comme "racket" ou un comportement comme "jeu" ou "scénarique" va à l'encontre de la résolution des problèmes psychologiques dont l'origine se trouve dans l'expérience de l'humiliation, la négligence ou l'abus.

Le fait de définir quelqu'un, même de façon exacte, peut le dévaloriser et l'humilier. Poser des questions sincères sur l'expérience, la motivation, la façon dont il se décrit lui-même, et sur le sens de son comportement, évite au client une humiliation potentielle. Répondre avec empathie et harmonisation donne le pouvoir à la personne d'exprimer pleinement ses sentiments, ses pensées, ses perceptions et ses talents. Les questions, l'harmonisation et l'engagement invitent au dévoilement du sens sous-jacent et à la motivation inconsciente.

La pratique clinique et les développements de la théorie se tirent et se poussent mutuellement, en un processus d'évolution. Les interventions cliniques fondées sur le respect (Erskine & Moursund, 1988) ; les transactions empathiques (Clark, 1991) ; l'implication émotionnelle (Cornell & Olio, 1992) ; le questionnement, l'harmonisation et l'implication (Erskine, 1991a ; Erskine et Trautmann, 1993) ont révélé que la honte et les fantasmes autoprotecteurs sont dominants dans la vie de nombreux clients. Cependant, ces phénomènes n'ont pas été adéquatement intégrés dans la théorie transactionnaliste des Etats du Moi et des Scénarios.

Quant à l'expérience clinique, elle a contribué à élaborer une compréhension théorique qui considère la honte et l'arrogance vertueuse comme des dynamiques archaïques, intrapsychiques, ayant pour but de protéger l'individu des reproches, de l'humiliation, et de la perte de contact dans la relation. La honte archaïque non résolue accroît la douleur inhérente à toute critique. Le conflit archaïque intrapsychique ajoute une toxicité qui noie l'humiliation présente sous une honte débilitante ou une arrogance vertueuse défensive.

La littérature

Dans la littérature d'Analyse Transactionnelle, la honte et l'arrogance vertueuse n'ont reçu que peu d'attention, à la fois comme thème théorique et comme champ d'investigation clinique. Berne (1972), Ernst (1971), et Erskine et Zalcmann (1979) ont tous proposé une base théorique pour comprendre la position existentielle et les croyances de scénario reliées à la honte ; ceci, de façon indirecte. La description, par Erskine (1988), des défenses de l'Etat du Moi Enfant contre les conflits intrapsychiques, dans la mesure où elle a été élaborée pour inclure les fantasmes et les affects, fournit un modèle théorique des Etats du Moi permettant de comprendre les dynamiques de la honte et de l'arrogance vertueuse.

English (1975) a abordé directement la honte et le contrôle social, décrivant la honte comme "le prix payé par l'enfant qui a intériorisé un message spécifique de contrôle émanant de sa famille et de sa culture"(p.26). Elle poursuit en disant que l'effet en est une inhibition, une limitation, et un contrôle de la curiosité expansive. English souligne que l'acte de faire honte aux enfants est au service de "la fonction d'adaptation de l'enfant à la civilisation familiale, pour le meilleur ou pour le pire"(p.26).

Récemment, Klein (1992), a défini l'arrogance vertueuse comme le "noyau des structures défensives de notre Moi" (p.76). Elle a indirectement relié le caractère défensif de l'arrogance vertueuse à la honte, lorsqu'elle décrit l'arrogance vertueuse comme "le camouflage de notre estime de soi négative"(p.78). Bien que Berne (1972) et Ernst (1971) n'aient pas écrit spécifiquement sur la honte ou sur l'arrogance vertueuse, les dynamiques reliées à ces sentiments sont reflétées dans les positions existentielles "je ne suis pas OK, vous êtes OK", ou dans la défense "je suis OK, vous n'êtes pas OK".

La littérature psychothérapeutique sur la honte et l'arrogance vertueuse est rare, bien que le concept de honte ait fait l'objet, récemment, d'une attention croissante. Goldberg commence "Comprendre la honte" (1991) en retraçant l'origine du mot anglais moderne "shame" comme venant du mot indo-européen "schame" qui signifie cacher, dissimuler. Il poursuit avec des exemples de cas cliniques montrant comment des individus cachent ou dissimulent leur pleine expression d'eux-mêmes par suite d'affronts ou de disgrâce. Chacun des exemples de Goldberg sur la honte reflète une expérience avilissante, dégradante ou humiliante, infligée par la conduite d'une autre personne. Selon Goldberg (1991), la honte est provoquée par "la perte du lien d'amour avec des tiers importants qui sont, ou sont supposés être nécessaires à la survie psychologique et physique de la personne" (p.59). Le résultat en est la perte de l'estime de soi et l'attitude consistant à cacher aux autres le sentiment de soi dégradé pour se protéger et pour se soustraire à tout reproche ou insulte potentiel. La honte représente une crainte spéciale - "comme un instinct d'auto-protection" (p.18), comme "un véhicule muni d'un silencieux, qui garderait secret le sentiment d'être misérable" (p.22). Dans son essence, la honte est une expérience solitaire bien qu'auto protectrice. Cependant, Goldberg considère également la honte comme "le creuset de la liberté humaine", crédité d'un potentiel constructif (1990, p.591).

Lynd (1958), l'un des premiers auteurs ayant écrit sur la honte, a défini celle-ci comme le sentiment d'une blessure infligée à la confiance en soi et en les autres. Lewis (1971), a décrit la honte comme une réduction de l'estime de soi et de l'estime des autres, qui débouche sur de la fureur ou de la colère, qui fonctionne dans le but de récupérer le sentiment d'avoir de la valeur. Wilson (1990), écrivant pour un public profane, dit : "la honte est le sentiment fort d'être irrémédiablement différent, à part, et d'être moins que les autres êtres humains (p.25).

Kaufman, dans La Psychologie de la honte (1989), écrit :

Phénoménologiquement, ressentir de la honte, c'est se sentir vu dans le sentiment douloureux d'être diminué" (p.17). La honte est la source de ce qu'on appelle "blessures narcissiques" ou blessures impliquant une faible estime de soi, une piètre notion de soi ou une image de soi dévalorisée (p.25).

La honte se trouve activée chaque fois que des attentes fondamentales envers un tiers important (scènes imaginées d'un besoin interpersonnel), ou quand les attentes également fondamentales sur soi- même (scènes imaginées d'accomplissement ou d'intention) apparaissent soudain comme erronées ou en échec (p.35).

Silvan Tomkins (1963), décrit la honte comme l'un des neuf affects humains : comme "l'affect d'indignité, de défaite, de transgression et d'aliénation" (p.118). Après avoir été l'un des premiers psychologues à faire des investigations sérieuses sur les émotions, Tomkins (1962, 1963, 1991)­ a été le pionnier dans l'élaboration d'une théorie qui a mis en mots de nombreuses observations cliniques effectuées par des psychothérapeutes, sur l'interaction entre l'affect, la perception, la cognition, les réactions somatiques et le comportement. Tomkins s'est particulièrement intéressé aux gestes faciaux, respiratoires et corporels, comme étant une expression des divers affects, et à la façon dont les émotions servent de système de motivation essentiel pour les êtres humains. Il décrit la honte comme un affect sur un continuum comportant également l'humiliation, la honte étant d'une intensité moindre que celle-ci, branchée sur une excitation d'affect bien supérieure. Bien qu'il ait considéré, dans sa théorie, que la honte faisait partie des neuf affects principaux qui motivent la cognition et le comportement, il a décrit la honte comme apparaissant toujours en présence d'autres émotions. La honte sert d'entrave à l'expression de l'intérêt, de l'excitation, de la joie, et interfère avec le plaisir d'une expérience.

Nathanson (1992) a appliqué la théorie des affects de Tomkins - plus spécialement les aspects liés à la honte et à la fierté - aux descriptions de la vie quotidienne, ainsi qu'à la psychothérapie et à la psychanalyse. Les auteurs psychanalytiques ont, d'une manière générale, ignoré le thème de la honte. Du point de vue psychanalytique, la honte est une résistance - une formation réactionnelle qui vise l'opposé de ce qui est vécu subjectivement. La honte est considérée comme une inhibition d'impulsions exhibitionnistes, qui s'opère en dérobant à la conscience les pulsions et envies interdits (Goldberg, 1991).

Erikson (1950, 1959, 1968), a été l'un des premiers théoriciens psychanalytiques du développement à se passer de la théorie freudienne des pulsions instinctuelles et de l'importance centrale, dans ce paradigme, de la culpabilité. Au lieu de cela, il a écrit sur le développement ontologique de l'identité, tout au long du cycle de la vie. Il a décrit huit étapes fondamentales ou crises, au travers desquelles les individus forment et façonnent leur identité - une approche personnelle sur soi et le monde. La seconde étape, selon Erikson, est centrée sur le sentiment d'autonomie, à l'opposé de la honte et du doute. En 1968, il écrit que, autant l'autonomie et la fierté émanent du sentiment interne d'être bon, autant le doute et la honte dérivent du sentiment d'être mauvais : "un sentiment de contrôle de soi sans perte de l'estime de soi est la source ontologique du sentiment de libre arbitre. Du sentiment inévitable de perte de contrôle de soi et d'un excès de contrôle parental découle une propension tenace au doute et à la honte"(p.109).

La qualité de la relation enfant/parent est le facteur principal qui déterminera si l'enfant va développer le sentiment de sa propre valeur et compétence, ou un sentiment d'impuissance, d'inhibition et de honte. "La qualité d'autonomie que les enfants vont développer dépend de la capacité de leurs parents à leur accorder autonomie et dignité, ainsi qu'un sentiment d'indépendance personnelle, qui dérive de leurs propres vies" (Erskine, 1971, p.60). La honte apparaît lorsque les parents ont recours à la ridiculisation ou aux taquineries, qui poussent l'enfant à laisser tomber ses désirs et sujets d'intérêt ; le doute provient d'un sur-contrôle extérieur qui vole à l'enfant le sentiment de son efficacité - qu'il ou elle est capable de se contrôler lui-même ou elle-même (Wolf, 1988).

Lewis (1971, 1987), suivant les idées d'Erikson, semble avoir été l'un des premiers auteurs psychanalytiques à relier le phénomène de la honte à la pratique clinique. Elle a mis l'accent sur la lutte pour récupérer le sentiment d'avoir de la valeur, qui suit la perte de cette valeur ou estime aux yeux des autres ou de soi-même. Wurmser (1981) décrit la honte comme liée à des croyances du type : quelque chose cloche en moi, c'est-à-dire : "je suis faible", "je suis dégoûtant", "je suis anormal" (pp.27-28). Basch (1988) a donné à la honte une place importante au sein de la théorie psychanalytique du Soi. Il la décrit comme "une émotion douloureuse... une manoeuvre fondamentalement protectrice" (p.136) qui met fin à l'expression de soi ou aux attentes. Mais Kohut (1977, 1984) et Morrison (1987) relient l'origine de la honte à l'expérience du défaut d'empathie dans la vie quotidienne et, également, ce qui est important, aux sentiments d'insécurité résultant d'un défaut d'empathie de la part des parents, dans la petite enfance.

Sullivan (1954) décrit la dynamique de la honte par le terme d'anxiété :

Dans le sens que je donne à ce mot, l'anxiété est le signe que l'estime de soi, le regard sur soi-même est en danger... l'anxiété est le signal d'un danger menaçant le respect de soi, et notre position aux yeux de tiers importants, présents même s'ils ne sont que des figures idéales de notre enfance (p.207)

Sullivan a également décrit comment les gens ont recours à la colère et aux "malentendus" pour éviter l'anxiété liée à "l'anticipation d'une baisse de l'estime de soi" (p.207).

Quant à l'arrogance vertueuse, elle a reçu encore moins d'attention que la honte, dans la littérature psychothérapeutique. La littérature sur le traitement des désordres narcissiques est un secteur dans lequel les auteurs ont fait un lien direct, quoi qu'implicite, entre humiliation, honte, basse estime de soi, colère rageuse et arrogance vertueuse (Kohut, 1978 ; Lewis, 1987 ; Modell, 1986 ; Morrison, 1986 ; Reich, 1986 ; Wurmser, 1987). Bursten (1973) a décrit l'adoption d'une posture d'arrogance, d'auto-glorification et d'agressivité comme étant réparatrice de la honte. Bach (1985) a défini les fantasmes de grandiosité narcissique comme une défense contre "le vécu subjectif d'un défaut dans le sentiment de soi, qui nécessite une inhabituelle surcompensation" (p.93). La surcompensation se réalise par des fantasmes d'arrogance défensifs contre la honte et la faible estime de soi, causée par les expériences humiliantes avec autrui. Horowitz (1981) considère la rage vertueuse et l'attribution de la faute aux autres comme une défense contre les affronts et la honte. Basch (1988) donne un exemple clinique de le retournement de l'affront et de la honte dans le cas d'une femme qui avait été terriblement humiliée et fantasmait une vengeance qui tenait lieu de déni de son sentiment de honte. Goldberg (1991) a mis en rapport ces fantasmes arrogants vertueux et la tentative pour prendre le contrôle sur l'impuissance.

Wallace et Nosko (1993) ont montré comment la rage et la violence sont utilisées comme moyen pour éviter le sentiment d'abandon lié à la honte, chez les hommes qui battent leur femme. Bien que l'arrogance vertueuse n'ait pas bénéficié de l'attention adéquate dans la littérature clinique ou théorique, les auteurs qui décrivent ce phénomène sous-entendent que l'arrogance vertueuse est un processus défensif utilisé pour évacuer le sentiment de honte et les souvenirs d'humiliations et de reproches, ou leur anticipation.

Les méthodes cliniques destinées au traitement de la honte et de l'arrogance vertueuse qui mettent l'accent sur le respect, l'harmonisation et une relation de contact, sont plus développées que n'est définie la perspective théorique dans ce secteur. La distinction entre la honte et l'humiliation a besoin d'être clarifiée. La honte est-elle un affect humain inné, ou la combinaison de processus intrapsychiques incluant les émotions, les systèmes de croyance, et les processus défensifs ? La honte est-elle une réaction aux comportements actuels des autres, le résultat d'introjects archaïques et d'une soumission à ceux-ci, ou une position existentielle ? Et enfin, comment peut-on rendre compte de ces phénomènes dans le cadre de référence théorique de l'Analyse Transactionnelle ?

La honte : clarification théorique

La honte est un processus d'auto-protection utilisé pour éviter les affects résultant de l'humiliation et de la vulnérabilité à la perte d'une relation-en-contact avec une autre personne. Lorsque des enfants, et mêmes des adultes sont critiqués, ou humiliés par des tiers importants, le besoin de contact et la vulnérabilité ressentie dans le maintien de la relation peut engendrer un affect défensif auto-protecteur, et une soumission aux définitions rabaissantes qui sont imposées. La honte est un processus complexe comportant :

  1. une notion de soi diminuée, un rabaissement de sa propre dignité qui est une soumission à l'humiliation externe et/ou à l'esprit critique introjecté
  2. la transposition défensive de la tristesse et de la peur
  3. le déni de la colère

La honte implique un déni de la colère, dont le but est de maintenir les apparences d'une relation avec la personne qui s'est engagée dans les transactions humiliantes. Lorsque la colère est niée, un aspect précieux du Soi est perdu : le besoin d'être pris au sérieux et respecté, et le besoin d'exercer un impact sur autrui. La dignité propre s'en trouve diminuée.

La honte implique également une transposition des affects de tristesse et de peur : tristesse de ne pas être accepté comme on est, avec ses propres pulsions, désirs, besoins, sentiments et comportements - et peur d'être abandonné dans la relation, à cause de qui on est. La peur et la perte d'un aspect du Soi (déni de la colère) fournissent du combustible à la soumission - une baisse de l'estime de soi dans le but d'établir une confluence avec les critiques et/ou l'humiliation.

La soumission à l'humiliation, la transposition de la peur et de la tristesse et le déni de la colère produisent le sentiment de honte et de doute décrit par Erikson (1950). Ecrivant à partir d'une perspective féministe sur la thérapie de la relation, Miller (1987) et Jordan (1989) valident cette explication, lorsqu'elles rapportent la honte à la perte du lien humain.

La honte est essentiellement le sentiment d'être indigne d'être en relation, un sentiment profond de ne pas être digne d'amour et la conscience concomitante du grand désir d'être relié aux autres. La honte implique une extrême conscience de soi, et elle signale la puissante aspiration à être en relation (Jordan, 1989, p.6)

Kaufman (1989) de manière similaire, dit que la honte reflète le besoin de contact dans la relation : "au coeur de la honte réside une aspiration ambivalente à être réuni justement avec celui qui nous a fait honte" (p.19). La honte est l'expression d'un espoir non conscient que l'autre prendra la responsabilité de remédier à la rupture de la relation.

Tomkins (1963) a écrit que la honte est l'affect présent lorsqu'il y a eu une perte de dignité, une défaite, une transgression, une aliénation. Il sous-entend que la honte est un affect différent, par sa nature et sa fonction, des huit autres affects figurant dans son schéma théorique. L'affect de la honte, selon lui, (cf. Nathanson, 1992), sert d'alternative ou d'obstacle à d'autres affects - une couverture qui est une défense contre l'intérêt et la joie. Les idées de Tomkins sont parallèles aux observations de Fraiberg (1982/1983) concernant la formation des défenses psychologiques chez l'enfant. Elle a décrit le processus de "transformation de l'affect" (p.71) par lequel un affect est substitué à un autre, ou transposé, lorsque l'affect d'origine échoue à produire le contact nécessaire entre l'enfant et l'adulte qui s'en occupe, parfois aussi précocément qu'à neuf mois. Lorsque l'enfant est humilié, la peur de perdre la relation, et la tristesse de ne pas être accepté sont transposés en un affect de honte. La honte est composée de tristesse et de peur, du déni de la colère, et d'une notion de soi amoindrie - soumission à l'humiliation.

Cette soumission à l'humiliation assure la continuité de la relation et, paradoxalement, est en même temps une défense. Ce rabaissement de sa propre dignité est observable parmi les animaux sauvages, lorsque l'un d'entre eux s'accroupit en présence d'un autre, pour éviter l'attaque, et garantir son acceptation. C'est auto-protecteur de rabaisser son propre statut pour désamorcer une agression, lorsque pourrait avoir lieu un combat pour la domination. La notion de soi amoindrie, ou l'auto-critique, qui font partie de la honte, diminuent la douleur de la rupture de la relation, tout en maintenant, de façon concomitante, un semblant de relation. La phrase souvent citée, que profèrent les entraîneurs de boxeurs : "démolis-le" !

décrit bien la fonction que remplissent le rabaissement de l'estime de soi et l'autocritique, utilisés comme défense contre une éventuelle humiliation de la part des autres. Mais là, le coup de poing est orienté vers son propre soi, par le rabaissement de la dignité personnelle.

Honte et arrogance vertueuse : une perspective transactionnaliste

La formulation d'une théorie transactionnaliste de la honte et de l'arrogance vertueuse requiert que ces concepts soient intégrés dans la théorie des Etats du Moi et la théorie du Scénario. Pour parvenir à comprendre comment le phénomène de la honte et de l'arrogance vertueuse fonctionne dans les Etats du Moi, il est essentiel que les concepts utilisés soient clairement définis.

Berne (1972) recommandait que les discussions théoriques restent dans le cadre d'un nombre donné de concepts et de définitions, de telle sorte que les définitions utilisées "appartiennent au même cadre de référence ou proviennent du même point de vue" (p.412). Les définitions des Etats du Moi qui vont suivre sont proposées comme cadre conceptuel pour ce genre d'exploration théorique. Pour beaucoup d'entre eux, ils sont tirés du matériel que j'ai précédemment publié, ou s'appuient dessus (cf. Erskine 1980, 1988, 1991b, 1993 ; Erskine & Moursund, 1988).

Les Etats du Moi

En 1961, Berne a défini les multiples Etats du Moi Enfant comme un Moi archaïque, consistant en fixations à des stades antérieurs de développement : comme des "reliquats de l'enfance de l'individu" (p.77). L'Etat du Moi Enfant est la personnalité entière de la personne, lorsqu'elle se trouvait dans cette phase de développement (Berne, 1958/1977, 1961, 1964). Quand elle fonctionne dans un Etat du Moi Enfant, la personne perçoit ses besoins et sensations internes, ainsi que le monde externe, comme elle le faisait à un âge développemental antérieur. "Ceci inclut les besoins, les désirs, les pulsions et sensations ; les mécanismes de défense ; les processus de pensée, perception, sentiments et comportements propres à cette phase antérieure de développement, à laquelle correspond l'apparition de la fixation (Erskine, 1988, p.17). Les fixations de l'Etat du Moi Enfant sont apparues lorsque des besoins aigüs de contact n'ont pas été satisfaits dans l'enfance, et que le recours, par l'enfant, à des défenses contre l'inconfort des besoins non satisfaits est devenu habituel (Erskine, 1980).

Les Etats du Moi Parent sont les manifestations d'introjections de personnes réelles, telles que perçues par l'enfant au moment de l'introjection (Erskine, 1988 ; Loria, 1988). L'introjection est un mécanisme de défense (comportant désappropriation, déni et refoulement) fréquemment utilisé lorsqu'il manque un plein contact psychologique entre l'enfant et les adultes qui ont la responsabilité de ses besoins psychologiques. L'introjection est une identification non consciente aux croyances, sentiments, motivations, comportements et défenses de l'autre. L'autre, important, devient alors une partie du Soi (Moi) et le conflit résultant du manque de satisfaction du besoin est internalisé, de telle sorte qu'il semble, en apparence, plus facilement gérable (Perls, 1977 ; Rosenfeld, 1978).

Les contenus de l'Etat du Moi Parent peuvent être introjectés n'importe quand au cours de la vie, et, s'ils ne sont pas ré-examinés dans le cours du processus développemental ultérieur, ils restent inassimilés, ou non intégrés dans l'Etat du Moi Adulte. L'Etat du Moi Parent constitue alors des segments exogènes de personnalité, noyés dans le Moi, et vécus subjectivement comme s'ils étaient à soi ; mais, en réalité, ils forment une personnalité d'emprunt, susceptible, potentiellement, de produire des influences intrapsychiques sur les Etats du Moi Enfant.

L'Etat du Moi Adulte consiste en un développement moral, cognitif et émotionnel congruent avec l'âge de la personne, la capacité à être créatif, et la capacité à s'engager dans des relations signifiantes, dans un plein contact. L'Etat du Moi Adulte prend acte de ce qui se produit à l'intérieur et à l'extérieur et intègre continûment les expériences passées et leurs effets, ainsi que les influences psychologiques et les identifications à d'autres personnes importantes dans la vie du sujet.

La honte archaïque est l'expression interne d'un conflit intrapsychique entre un Etat du Moi Enfant réactif et un Etat du Moi Parent influent.

Lorsqu'un Etat du Moi Enfant est actif (que ce soit une expérience relatée, ou observable à travers le comportement), nous pouvons en inférer, théoriquement l'énergétisation d'un Etat du Moi Parent influent sur le plan intrapsychique (Berne, 1961, 1964). "L'individu manifeste une attitude de soumission infantile" (Berne, 1961, p.76) et/ou peut avoir recours à des défenses enfantines pour éviter, se figer ou combattre (Fraiberg, 1982/1983) ; le clivage du Moi (Fairbairn, 1954), la transformation de l'affect et le retournement de l'agression (Fraiberg, 1982/1983), les fantasmes (Erskine, 1988, p.18 ; Erskine & Moursund, 1988, p.23).

Berne (1961) décrit les dynamiques intrapsychiques des Etats du Moi comme représentant les "reliquats du petit enfant qui a vraiment existé un jour, aux prises avec les reliquats des parents qui ont vraiment existé autrefois", car elles "reproduisent les luttes réelles de l'enfance pour survivre parmi des gens réels, ou, du moins, c'est ainsi que le patient le vit subjectivement" (p.66).

Le conflit intrapsychique est maintenu, pour une part, par le besoin relationnel de l'enfant (Fairbairn, 1954), le besoin d'attachement (Bowlby, 1969), ou de contact (Erskine, 1989), et par la défense de l'Etat du Moi Enfant fixé, contre la pleine conscience des besoins de contact, d'attachement et de relation. Ces besoins sont mis en évidence par la loyauté psychologique à l'égard de l'Etat du Moi Parent influent intrapsychiquement (Erskine, 1988, 1991b). La loyauté réside dans le fait d'éviter de réaliser qu'"on n'a pas tenu compte de mes besoins psychologiques" ou dans le fantasme inconscient selon lequel, "si je suis assez bien, alors on tiendra compte de mes besoins".

Aux fins d'établir une théorie transactionnaliste décrivant le phénomène de honte et d'arrogance vertueuse, les termes "humiliation" et "transactions humiliantes" sont utilisés ici pour se référer aux interactions se produisant entre les personnes, lorsque l'une d'elles avilit, critique, définit ou ignore l'autre. Les termes "honte" et "arrogance vertueuse" sont utilisés pour se référer aux dynamiques intrapsychiques se déroulant chez une personne et qu'on peut décrire comme consistant en l'influence d'un Etat du Moi Parent, en la soumission et/ou en systèmes de défense archaïques. Une fois fixé le sentiment de honte, il représente un conflit intrapsychique entre un Etat du Moi extéropsychique influent et un Etat du Moi archéopsychique défensif, soumis : cet enfant qui aspirait à être en relation. "La fixation se réfère à une configuration relativement stable d'organisation de l'affect, un comportement ou une cognition provenant d'une strate plus précoce du développement, qui persiste et peut dominer la vie ultérieurement" (Erskine, 1991b, p.69). Ce sont les défenses fixées qui maintiennent le Moi dans des états séparés, et qui interfèrent avec l'intégration de défenses archaïques au sein d'un Moi Adulte (Erskine & Moursund, 1988).

Un fantasme défensif

Suivant un processus de développement normal, les jeunes enfants ont souvent recours à la fantasmatisation pour se procurer contrôle, structure, soins nourriciers, ou tout ce qui a pu être vécu comme manquant ou inadéquat. La fonction du fantasme est peut-être de structurer le comportement comme protecteur par rapport aux conséquences éventuelles de ces manques ou inadéquations, ou d'apporter amour et soins nourriciers lorsque les adultes en charge de l'enfant sont froids, absents ou abusifs.

Le fantasme joue alors le rôle de tampon entre les figures parentales réelles et les désirs, besoins, sentiments et souvenirs du jeune enfant. Dans les familles, ou dans les situations où il est nécessaire de refouler la conscience de besoins, sentiments et souvenirs pour survivre ou être accepté, le fantasme auto-créé peut se fixer et ne pas trouver à s'intégrer lors des stades développementaux ultérieurs. A la longue, le fantasme se met à fonctionner comme un "retournement" de l'agression (Fraiberg, 1982/1983, p.73) : les critiques, dévalorisations et humiliations dont l'enfant peut avoir été l'objet, sont amplifiés et tournés contre le Soi, comme il en va dans l'auto-critique et le dégoût de soi. Ce type de fantasmes fondés sur la honte servent à maintenir l'illusion d'un attachement à une relation bienfaisante, quand la relation réelle a pu se trouver rompue par l'humiliation.

Beaucoup de clients relatent un sentiment persistant de honte accompagné d'autocritique avilissante. Ils imaginent sur un mode répétitif, les échecs humiliants de leurs réalisations ou de leurs relations. En fantasme, ils amplifient leur soumission aux critiques introjectées et à l'humiliation, tandis qu'ils se défendent contre le souvenir de la tristesse originelle, celle de ne pas avoir été accepté comme on est, et celui de la peur de l'abandon, causé par qui on est. Lorsque des souvenirs des premières humiliations, chargés d'affects, sont refoulés à titre défensif, ils sont susceptibles de réémerger dans la conscience sous la forme de fantasmes d'échecs futurs ou d'avilissement. L'auto-critique et le fantasme d'un échec humiliant ont deux fonctions qui s'additionnent : maintenir la négation de la colère, et protéger contre le choc des éventuelles critiques et avilissements à venir.

L'arrogance vertueuse : une double défense

L'arrogance vertueuse a une fonction encore plus élaborée que les aspects défensifs de la honte. L'arrogance vertueuse est un fantasme auto-généré (parfois manifesté dans des transactions apparentes) qui est une défense contre la douleur liée à la perte de la relation, tout en permettant un pseudo triomphe sur l'humiliation, et une inflation de l'estime de soi. Là où la honte et l'auto-critique laissent la personne en proie à la dévalorisation, et aspirant à la restauration du lien, les fantasmes arrogants vertueux sont une tentative désespérée d'échapper à l'humiliation et à s'exonérer de la honte en s'auto-justifiant.

L'arrogance vertueuse, c'est :

  1. une défense contre la tristesse et la peur de l'humiliation
  2. l'expression du besoin d'avoir un impact, d'être pris au sérieux et d'être respecté
  3. une défense contre la conscience du besoin que l'autre restaure le lien rompu
    (Bollas, 1987)

La personne fantasme qu'elle a une valeur en trouvant des défauts aux autres et, ce faisant, elle perd la conscience de son besoin de l'autre. Le Soi est vécu subjectivement comme supérieur.

Comme l'a décrit Alfred Adler, le fantasme de supériorité défend contre les souvenirs d'humiliations (Ansbacher & Ansbacher, 1956), et oriente (déflecte) vers l'extérieur le sentiment de honte. L'exemple d'un cas clinique va illustrer ce concept. Robert, un homme de 39 ans, marié et père de deux enfants, est dans un groupe de thérapie depuis deux ans et demi. Il décrit que, se rendant en voiture à son travail, il fantasmait souvent des disputes avec ses collègues ou le supérieur hiérarchique de son département. Il élaborait ces fantasmes, souvent, en un long discours, bien articulé, prononcé devant le conseil d'administration.

Au nombre de ses arguments imaginaires, les erreurs commises par les autres, qu'il pointait. Il faisait ressortir combien leurs critiques à son égard étaient infondées et, le plus important, comment ils commettaient des erreurs que lui, Robert, ne commettrait jamais. Dans son fantasme, les membres du conseil d'administration ne manquaient pas d'être ébranlés, émotionnellement, par l'éloquence et la force de conviction de ses arguments. C'est ainsi qu'il se trouvait exonéré de toute critique, tandis que les autres se voyaient reprocher à la fois leurs critiques et leurs propres erreurs. Ces fantasmes obsédants prenaient souvent leur source dans des critiques faites au travail, sans que le contexte ait permis à Robert de s'expliquer. Le manque de continuité dans le dialogue avec les gens semblait le précipiter dans son activité fantasmatique obsédante, au sein de laquelle il pouvait débattre avec l'autre devant un auditoire qui, à la fin, reconnaissait que Robert avait raison et même qu'il était dans son bon droit.

Ces fantasmes obsédants diminuèrent, pour finalement céder, lorsqu'il eut exploré les humiliations qu'il avait vécues de façon répétée à l'école primaire, époque où il avait un trouble de l'élocution. Les instituteurs et les autres élèves s'étaient moqués de son trouble. Bien qu'il n'ait pas pu se remémorer les sarcasmes ou quolibets, il savait qu'il avait été ridiculisé. Il avait continuellement le sentiment que la réaction des autres envers lui impliquait "il y a quelque chose qui cloche en moi".

Les années passant, il s'efforça très soigneusement d'améliorer son élocution, surmonta le trouble et, au bout du compte, développa une diction impeccable. Cependant, par soumission à l'humiliation qu'il avait vécue enfant, il avait adopté la croyance de scénario "il y a quelque chose qui cloche en moi" pour expliquer sa perte d'amitiés intimes avec les autres enfants, et d'approbation par ses instituteurs. De plus, il se défendait contre la conscience de sa croyance de scénario en perfectionnant son élocution. Néanmoins, quelle qu'ait été la perfection atteinte par son élocution dans sa vie adulte, à chaque fois que quelqu'un le critiquait, il écoutait très attentivement les remarques faites. Les critiques courantes activaient les souvenirs émotionnels d'humiliations antérieures, là où les critiques introjectées influencent, intrapsychiquement, un Etat du Moi Enfant et donnent plus de force aux critiques courantes.

Pour se réconforter, sur le chemin du travail le lendemain, il se défendait sur un mode obsessionnel des remarques de ses collègues ou supérieurs, aspirant à ce que quelqu'un (le conseil d'administration) dise qu'il avait raison.

Dans le cas de Robert, le processus défensif consistant à nier la colère, à se soumettre, à transposer l'affect, et à fantasmer, se fixa de la même manière que n'importe quel processus défensif, si on n'y répond pas dès le début dans une relation empathique et par une harmonisation de l'affect (Erskine, 1991a, 1993). C'est grâce au respect pour la façon qu'avait Robert de se relier aux gens, et par des questions délicates et sincères sur ce qu'il vivait, qu'il put commencer à révéler la présence de ses fantasmes obsédants. Les fantasmes arrogants vertueux étaient une défense contre le désir naturel d'un contact dans la relation, et contre son besoin que les autres restaurent la relation rompue. Par le moyen d'une harmonisation et de transactions empathiques, il parvint à vivre la honte originelle - la tristesse, la peur, la colère et la soumission, en réaction aux humiliations. Lorsqu'il exprima la tristesse et la peur liées à la perte de contact dans les relations avec les instituteurs et les autres enfants, il redécouvrit son aspiration à être relié aux autres. Les fantasmes défensifs cessèrent. Une implication tendre, de la part du thérapeute et des membres du groupe, rendit possible à Robert de vivre son besoin de contact émotionnel intime comme naturel et souhaitable.

Le système scénarique

Les concepts berniens de Scénario ont été expliqués et diffusés par de nombreux auteurs, depuis leur introduction (English, 1972 ; Erskine, 1980 ; Erskine & Zalcman, 1979 ; Goulding & Goulding, 1979 ; Holloway, 1977 ; Kahler et Capers, 1974 ; Steiner, 1971 ; Woolams, 1973). Chaque auteur a présenté son ou ses idées uniques, apportant d'intéressantes perspectives théoriques, des instructions utiles, ainsi que de nouvelles dimensions à la pratique clinique. Et pourtant, seules quelques-unes de ces contributions théoriques étaient en cohérence avec la perspective bernienne sur le Scénario comme phénomène transférentiel, ou avec sa théorie développementale et intrapsychique des Etats du Moi (Erskine, 1991b). Divers modèles d'Etats du Moi (Trautmann & Erskine, 1981) ont été utilisés comme base pour les matrices de Scénario, sans se référer aux conceptualisations des Etats du Moi de Berne, et sans définir la raison d'être d'une reformulation de la théorie des Etats du Moi et du Scénario. Berne (1972) a également contribué à cette incohérence théorique en mélangeant les concepts et modèles dans ses écrits tardifs. Il a diminué l'impact de ce que ses théories développementales et relationnelles pouvaient offrir, et, ce faisant, il a affaibli sa propre extension créatrice de la théorie psychanalytique et psychothérapeutique.

Dans la psychothérapie de la honte et de l'arrogance vertueuse, de même que pour beaucoup d'autres désordres psychologiques ayant leurs racines dans des perturbations de la relation, la thérapie est d'autant plus valable que le psychothérapeute dispose d'une base théorique orientée-vers-la-relation, consistante et cohérente, pour définir le plan de traitement et les interventions cliniques qui vont en découler. Bien que plusieurs définitions du Scénario coexistent dans la littérature de l'Analyse Transactionnelle, (Cornell, 1988 ; Massey, 1989), nous proposons la définition suivante du Scénario (Erskine, 1980), comme base pour corréler les définitions originales de Berne concernant les Etats du Moi avec une définition opérationnelle du Scénario de vie, et comme fondation permettant une discussion cohérente sur les éléments psychodynamiques et les méthodes thérapeutiques :

Le Scénario est un plan de vie fondé sur des introjections et/ou des réactions défensives adoptées sous la pression, à n'importe quel âge du développement, qui inhibe la spontanéité et limite la souplesse dans la résolution des problèmes et dans la relation à autrui.

Ces introjections et/ou réactions défensives se produisent sous la pression de manques en termes de soutien et de lien, dans la relation. Le besoin de contact ainsi que les sentiments de perte de relation vont se trouver niés et supprimés par l'adoption de réactions défensives et d'introjections. Ce processus défensif constitue le "noyau intrapsychique du Scénario" (Erskine, 1980, p.104).

Depuis sa présentation initiale en 1975 par Erskine & Zalcman et sa publication en 1979 sous le titre "le circuit du sentiment parasite : un modèle pour l'analyse du sentiment parasite" (Erskine & Zalcman), il est devenu manifeste que le terme américain de "racket" n'est pas directement traduisible dans d'autres langues. Dans le souci d'uniformiser la théorie de l'Analyse Transactionnelle sur le plan international, ainsi que la terminologie, je préconise l'utilisation du terme "système scénarique" plutôt que système racket[1] et analyse intrapsychique plutôt que analyse du racket. Les concepts sont inchangés, seuls les termes sont différents.

Le Système Scénarique (dont la première version publiée était le racket system), fournit un modèle de compréhension des dynamiques systémiques des dimensions intrapsychiques, comportementales et physiologiques du scénario de vie. Le Système Scénarique montre graphiquement comment les réactions intrapsychiques (conclusions défensives et décisions) et les introjections formant le noyau du Scénario de vie, sont organisées en croyances de Scénario ; comment ces croyances centrales sont manifestées par le comportement, les fantasmes, les tensions physiologiques ; et comment un individu structure ses perceptions et ses interprétations de l'expérience, pour apporter un renforcement aux croyances de Scénario.

Le Système Scénarique fournit une coupe du Scénario, représentable graphiquement - à savoir, comment le Scénario de vie est vécu dans l'ici et maintenant.

Le Système Scénarique se corrèle avec la théorie des Etats du Moi en proposant une perspective alternative sur l'organisation des introjections et/ou réactions défensives - les fixations extéropsychiques et archéopsychiques du Moi. Ces fixations, sous la forme de croyances de Scénario, servent de défenses cognitives contre la conscience des besoins et sentiments présents à un âge antérieur, lorsque manquait le contact interpersonnel pouvant satisfaire les besoins, et que les croyances de Scénario se sont formées, ou ont été introjectées.

Lorsqu'il est opérationnel, le Système Scénarique dépeint la contamination du Moi Adulte par les Etats du Moi Parent et Enfant.

Nous définissons le Système Scénarique comme "un système auto-renforçant et faussé de sentiments, pensées et actions, maintenu par les individus en proie au Scénario" (Erskine & Zalcman, 1979, p.53). Dans sa tentative pour donner sens à l'expérience du manque de contact dans la relation, l'enfant doit répondre à la question suivante : "qu'est-ce que quelqu'un comme moi fait dans un monde comme celui-ci, avec des gens comme vous" ? Lorsque l'enfant est exposé à la pression issue d'un manque de contact dans la relation ne permettant pas la reconnaissance, la validation et la satisfaction des besoins, il peut être amené à répondre à chaque segment de cette question par une réaction défensive et/ou une identification défensive inconsciente à l'autre, qui va constituer une introjection. En l'absence de réponse empathique, de la part d'une personne en contact, aux introjections, conclusions et décisions défensives, celles-ci risquent fréquemment de devenir, dans une tentative d'auto-soutien, des croyances fixées sur soi-même, les autres et la qualité de vie de la personne concernée - le noyau du Scénario de vie. Ces croyances de Scénario fonctionnent comme une défense cognitive contre la conscience des sentiments et des besoins de contact dans la relation, besoins qui n'ont pas trouvé de répondant adéquat à l'époque où se sont formées lesdites croyances de Scénario. Leur présence indique la persistance d'une défense contre la conscience des besoins de contact dans la relation, et contre la remémoration complète des ruptures survenues dans celle-ci.

Les manifestations scénariques sont tous les comportements apparents et internes, qui manifestent les croyances scénariques et les besoins et sentiments niés. Les manifestations scénariques incluent également les expériences internes de tensions physiologiques relatées, et les fantasmes qui étayent les croyances scénariques en fournissant les expériences renforçantes. Celles-ci sont le rappel sélectif de transactions, fantasmes et sensations corporelles qui renforcent la croyance scénarique. Quant aux expériences qui ne sont pas de nature à renforcer les croyances scénariques, elles sont souvent niées (Erskine & Moursund, 1988, pp.33-36).

Dans le cas de Robert, quand il était à l'école primaire, il avait adopté la croyance centrale : "il y a quelque chose qui cloche en moi", en soumission à l'humiliation venant des instituteurs et autres enfants, et comme pseudo satisfaction de son besoin d'être accepté par eux. Selon la perspective de la théorie des Etats du Moi, le coeur du sentiment de honte de Robert consiste en une transposition défensive opérée par l'enfant, de la tristesse et de la peur, une "désappropriation"[2] de sa colère de n'être pas traité avec respect, une notion de lui-même amoindrie, fixée en soumission aux critiques introjectées, et un besoin chez l'enfant, d'une relation-en-contact.

Ce besoin naturel d'une relation maintient les Etats du Moi Enfant dépendants, loyalement attachés à l'Etat du Moi Parent, et assure la soumission à l'humiliation introjectée. Lorsque la douleur de ne pas être accepté comme on est devient trop grande, comme dans la situation de Robert, un fantasme défensif arrogant et vertueux peut être utilisé pour nier le besoin de relation, ceci allant de pair avec l'expression du besoin d'avoir un impact et d'être traité avec respect.

Si l'on se place dans la perspective de la théorie du Scénario, le sentiment de honte est constitué de la croyance de Scénario centrale "il y a quelque chose qui cloche en moi", qui sert de défense cognitive contre la conscience des besoins de relation, et contre les sentiments de tristesse et de peur présents à l'époque des expériences humiliantes.

Quand la croyance de Scénario "il y a quelque chose qui cloche en moi" est opérationnelle, les comportements apparents qui font partie des manifestations scénariques sont souvent ceux qui sont décrits comme inhibés ou inadéquats : timidité, manque de contact visuel dans la conversation, manque d'expression de soi, expression restreinte de souhaits ou besoins naturels, ou inhibition de toute expression naturelle de soi risquant d'être sujette à critique.

Les fantasmes peuvent inclure l'anticipation d'une inadéquation, de ratages ou de critiques, se concluant par un renforcement de la croyance Scénarique "il y a quelque chose qui cloche en moi". D'autres fantasmes peuvent conduire à ressasser des événements, et à découper les souvenirs de telle sorte que le noyau des croyances Scénariques s'en trouve renforcé. Parfois, la croyance de Scénario se manifeste par des restrictions d'ordre physiologique telles que maux de tête, tensions à l'estomac ou d'autres malaises physiques, évitant à la personne les comportements qui risqueraient de mener à des commentaires humiliants de la part d'autrui, et fournissant simultanément la preuve interne que "quelque chose cloche en moi". Souvent, de vieux souvenirs d'humiliations sont remémorés pour maintenir une homéostasie avec le noyau des croyances de Scénario, et le déni des besoins et sentiments initiaux. Cela étant, en inhibant le Soi, ou dans les fantasmes d'auto-critique, le besoin de contact-dans-la-relation demeure sous la forme de l'espoir non conscient de la restauration d'une relation pleine de contact, et d'une pleine acceptation par autrui. C'est comme si on disait à ceux qui nous ont ridiculisés : "si je deviens comme tu m'as défini, vas-tu alors m'aimer ?"

Robert, présenté comme exemple de quelqu'un ayant recours aux dynamiques de la double défense de l'arrogance vertueuse, est arrivé en thérapie non conscient de quelque espoir ou besoin relationnel. Son dispositif semblait être à l'opposé de sa croyance de Scénario : il avait perfectionné son élocution et son comportement à un point tel qu'il n'apparaissait aucun signe évident de "quelque chose qui cloche en moi". Ses fantasmes étaient arrogants et vertueux, centrés sur ce qui n'allait pas chez les autres. Il restait hypersensible aux critiques, avec une aspiration non consciente à s'entendre dire qu'il était OK, par une personne d'autorité.

"Il y a quelque chose qui cloche en moi"

Le renforcement combiné et continuel de la croyance de Scénario "il y a quelque chose qui cloche en moi" met le thérapeute en présence de défis complexes, spécifiques à la psychothérapie de la honte et de l'arrogance vertueuse. Dans de nombreux cas cliniques, cette croyance particulière de Scénario ne cède pas en réponse aux méthodes fréquemment utilisées en Analyse Transactionnelle, d'explication, de confrontation, d'interprétation, de redécision programmée, d'insistance sur le changement comportemental, ou à un reparentage dogmatique. Chacune de ces méthodes permet un changement seulement partiel et temporaire, dans la fréquence ou l'intensité de la croyance de Scénario complexe qui se trouve au coeur de la honte et de l'arrogance vertueuse. En fait, l'usage même de ces méthodes communique fréquemment "il y a quelque chose qui cloche chez toi", ce qui risque alors de renforcer la croyance Scénarique centrale, d'augmenter le déni du besoin d'un contact dans la relation et, par là-même, d'accroître le sentiment de honte ou d'arrogance vertueuse.

Par le recours aux méthodes qui privilégient le respect (Erskine & Moursund, 1988) ; les transactions empathiques (Clark, 1991) ; l'engagement émotionnel (Cornell & Olio, 1992) ; et des questions posées avec tact, harmonisation de l'affect et implication (Erskine, 1991a ; Erskine, 1993 ; Erskine & Trautmann, 1993), les risques de renforcer la croyance de Scénario pendant le processus thérapeutique se trouvent considérablement diminuées.

Dans le but de faciliter le plan de traitement et d'affiner les interventions cliniques, il est essentiel de distinguer les fonctions intrapsychiques ainsi que les origines historiques de la croyance centrale de Scénario. L'origine historique complexe de "il y a quelque chose qui cloche en moi" au sein de l'Etat du Moi Enfant peut être comprise à partir de trois perspectives :

  • messages et décisions de soumission
  • conclusions en réponse à une impossibilité et
  • réactions défensives d'espoir et de contrôle

Chacune des façons dont la croyance Scénarique s'est formée a des fonctions intrapsychiques uniques auxquelles il est nécessaire d'accorder un accent particulier au cours de la psychothérapie.

Les concepts d'injonction et de contre-injonction, d'attributions malveillantes et de messages parentaux de mort, avec les décisions de soumission correspondantes, sont bien établis dans la théorie de la formation du Scénario (Berne, 1972 ; Goulding & Goulding, 1979 ; Steiner, 1971). Confronté à un risque potentiel de perte de la relation, un enfant peut être forcé de prendre une décision de soumission défensive, consistant à accepter comme étant son identité la définition de lui faite par ceux dont il est dépendant. Il peut s'agir là d'une adaptation et d'une soumission à des messages ouverts ou implicites tels que : "il y a quelque chose qui cloche chez toi".

Dans de nombreux cas, le message est délivré sous la forme d'une question à caractère critique : "mais enfin, qu'est-ce que tu as" ? Le message psychologique étant : "tu ne ferais pas ce que tu es en train de faire si tu étais normal (ou OK)". Ce genre de critique échoue à mettre en valeur les comportements spontanés et naturels de l'enfant, à comprendre ses motivations, ou à rechercher ce qui manque, peut-être, dans la relation entre l'enfant et la personne qui le critique.

Un enfant qui forme ce genre de croyance de Scénario en soumission aux critiques risque de devenir hypersensible à la critique, de fantasmer des critiques anticipées, et de collectionner des souvenirs renforçants de critiques passées.

La fonction intrapsychique est de maintenir un sentiment d'attachement dans la relation, au prix de la perte de la vitalité naturelle, de l'excitation de la spontanéité.

Lorsque les enfants sont confrontés à une tâche impossible, ils en arrivent souvent à la conclusion : "il y a quelque chose qui cloche en moi". Avec une telle conclusion, ils parviennent à se défendre contre le malaise dû au besoin d'un contact manquant, et à maintenir un semblant de relation. Les familles dysfonctionnelles présentent souvent des exigences impossibles aux enfants. Il est impossible, pour un petit enfant, d'empêcher un parent alcoolique de se saouler, il est impossible à un bébé de soigner une dépression, ou à un gamin en âge scolaire d'être conseiller conjugal. Il est impossible, pour un enfant, de changer de sexe pour satisfaire le désir d'un parent de voir son rêve réalisé. Tous ces exemples représentent bien un renversement de la responsabilité concernant le bien-être de l'enfant, et une perte de contact dans la relation. Des interruptions ultérieures dans la relation vont être vécues comme "c'est de ma faute" et elles vont détourner (déflecter) de la conscience les besoins et sentiments présents lorsque le bien-être de l'enfant ne sera pas pris en compte.

La croyance de Scénario "il y a quelque chose qui cloche en moi" peut se former d'une troisième manière : comme réaction défensive de contrôle et d'espoir, l'espoir d'une relation continue et en plein contact. Lorsque les relations familiales sont dysfonctionnelles, un enfant qui a besoin de contact dans la relation peut imaginer que les problèmes de celui qui l'élève sont de sa faute : "c'est à cause de moi que papa boit" ou "c'est moi qui ai rendu maman déprimée" ou "l'abus sexuel, c'est moi qui l'ai provoqué... et donc voilà pourquoi il doit bien y avoir quelque chose qui cloche en moi!"

En prenant la faute sur lui, l'enfant se trouve non seulement être la source du problème, mais il peut aussi imaginer qu'il a un contrôle sur sa résolution. "Je vais me comporter très bien", "je vais me dépêcher de grandir", "je peux aller en thérapie pour être réparé", ou "si les choses vont trop mal, je pourrai me tuer car tout ça est de ma faute". La fonction de ce type de réactions est de créer une illusion porteuse d'espoir, et d'avoir des parents satisfaisant les besoins de l'enfant lors des relations précoces. Les personnes qui élèvent l'enfant sont vécues comme bonnes et aimantes, et n'importe quel acte du type ignorer, critiquer, battre ou même violer se produit parce qu'"il y a quelque chose qui cloche en moi". Ici, la croyance centrale de Scénario peut fonctionner à titre de contrôle défensif des sentiments de vulnérabilité dans le lien.

Au sein des Etats du Moi Enfant, chacune de ces trois origines de la croyance centrale de Scénario revêt des fonctions intrapsychiques spécifiques d'identité, de stabilité et de continuité. Pour une personne en particulier, cette croyance de Scénario peut s'être formée suivant l'une des voies seulement. Toute combinaison de ces trois réactions défensives constituées sous la pression accroît la complexité des fonctions. La croyance centrale de Scénario "il y a quelque chose qui cloche en moi" est souvent composée de ces multiples fonctions.

Il est essentiel, dans une psychothérapie-en-profondeur du Scénario, d'établir les origines et fonctions intrapsychiques d'une croyance de Scénario et d'estimer comment ces multiples fonctions aident le client à maintenir une homéostasie psychologique.

La psychothérapie de la honte et de l'arrogance vertueuse est complexe du fait des multiples combinaisons des fonctions intrapsychiques, et de leur renforcement continu.

Si l'on s'en tient seulement à identifier une croyance de Scénario et à tenter d'appliquer des méthodes de changement ou de redécision, on ne voit pas que ce sont les fonctions psychologiques qui forment et maintiennent la décision de Scénario. De tels efforts risquent d'augmenter l'intensité de la fonction intrapsychique et risque de rendre moins souple le noyau fixé du Scénario. Il est nécessaire de poser avec tact et patience des questions sur le vécu subjectif du client pour apprendre la combinaison unique des fonctions intrapsychiques. C'est donc la tâche incombant à tout psychothérapeute orienté-vers-la-relation, d'établir une harmonisation des affects tenant compte de l'âge développemental, ainsi qu'une implication permettant le transfert des fonctions intrapsychiques défensives sur la relation avec le thérapeute. C'est grâce à sa cohérence, à la confiance qu'il inspire et à la responsabilité qu'il assume dans la relation-en-contact que le thérapeute va permettre au client de relâcher ses processus défensifs et d'intégrer des Etats du Moi fragmentés (Erskine, 1991a). Les fonctions seront alors de nouveau assurées et n'auront plus de rôle autoprotecteur.

La honte dans les Etats du Moi Parent

Quand la croyance centrale de Scénario à l'intérieur d'un Etat du Moi Enfant s'est constituée soit comme décision de soumission, soit comme conclusion face à une impossibilité, soit comme réaction défensive d'espoir et de contrôle, ou n'importe quelle combinaison de ces trois éléments, il y a fort à parier sur une absence de soins, de compréhension et de communication.

Lorsqu'il existe un manque de contact psychologique entre un enfant et l'adulte responsable de son bien-être, la défense par introjection est fréquemment utilisée. Au travers de l'identification non consciente, défensive, que constitue l'introjection, les croyances, attitudes, sentiments, motivations, comportements et défenses de la personne dont l'enfant est dépendant deviennent une partie du Moi de celui-ci, sous la forme d'un état extéropsychique fragmenté. La fonction de l'introjection est de réduire le conflit externe entre l'enfant et la personne dont il dépend pour la satisfaction de ses besoins. L'Etat du Moi Parent introjecté peut être actif dans les transactions avec autrui, influent intrapsychiquement, ou vécu subjectivement comme le Soi.

Un Etat du Moi actif peut initier des transactions avec des membres de la famille ou des collègues comme le faisait celui qui a été introjecté et, par exemple, communiquer le message "il y a quelque chose qui cloche en toi!" La fonction d'une telle transaction est de procurer un soulagement temporaire dans l'Etat du Moi Enfant par rapport aux critiques internes d'un Etat du Moi Parent, et de continuer à nier le besoin originaire, d'une relation-en-contact.

L'Etat du Moi Parent influent intrapsychiquement est une reproduction des critiques introjectées autrefois. Il perpétue le cycle de soumission aux critiques et le caractère défensif de la tristesse et de la peur dans l'Etat du Moi Enfant. Ce cycle défensif de la honte fonctionne dans le but de maintenir l'illusion d'un attachement et d'une loyauté à l'égard de la personne avec laquelle l'enfant aspirait, depuis toujours, à avoir une relation en plein contact.

La honte dans l'Etat du Moi Parent peut non seulement être active et/ou influente, mais également être vécue comme étant le propre Soi. Le sentiment de honte du parent a pu être introjecté. C'est l'investissement énergétique de l'introject qui fait que la honte est identifiée, de façon erronée, comme étant la sienne propre (Erskine, 1977).

La croyance de Scénario "il y a quelque chose qui cloche en moi" peut réellement exister dans un Etat du Moi Parent. Le cycle de la honte - soumission aux critiques, transposition de la tristesse et de la peur, déni de la colère et aspiration à une relation - peut appartenir à papa ou à maman. Quant à l'arrogance vertueuse défensive, elle peut également être le résultat de l'investissement énergétique d'une introjection.

A titre d'exemple : depuis des années, Susan souffrait d'une honte paralysante, reliée à son sentiment d'être inadéquate, elle qui avait une mère alternativement déprimée et en colère, et la peur qu'un jour, elle ne devienne "dingue". La phase initiale de la psychothérapie tint compte de ses propres besoins d'attention, valida les négligences émotionnelles de son enfance et normalisa le processus défensif de "il y a quelque chose qui cloche en moi". Puis la psychothérapie mit l'accent sur la honte introjectée, qui était, à l'origine, celle de sa mère. Par une psychothérapie en profondeur, orientée-vers-le-contact, avec l'Etat du Moi Parent, qui privilégia le questionnement avec tact, l'harmonisation de l'affect et l'implication, Susan put se remémorer de façon très vivante son désir de prendre en charge le fardeau de sa mère, pour la libérer de la souffrance. Lors d'un dialogue Etat du Moi Enfant/Etat du Moi Parent, elle décrivit le processus : "je t'aime tant, maman, je vais porter ta honte à ta place!"

Interventions cliniques

La psychothérapie de la honte et de l'arrogance vertueuse commence avec la découverte par le thérapeute, des dynamiques psychiques uniques de chaque client. Chaque client présentant une problématique de honte donnera à voir un tableau différent de comportements, fantasmes, fonctions intrapsychiques et défenses auto-protectrices. Les perspectives théoriques décrites dans cet article sont des généralisations tirées de la pratique clinique et représentent l'intégration de plusieurs concepts théoriques.

La théorie ne figure pas ici pour représenter ce qui est, mais plutôt pour servir de guide dans le processus thérapeutique de questionnement, harmonisation et implication. Ce qui est important, c'est que le phénomène de la honte et de l'arrogance vertueuse expliqué à partir de la théorie transactionnaliste est susceptible d'encourager les analystes transactionnels à explorer avec chaque client son expérience unique de la honte, et à adopter une approche psychothérapeutique orientée-vers-la-relation.

Un questionnement patient et respectueux en direction du vécu subjectif du client va apporter à la fois au thérapeute et au client une compréhension toujours plus fine de qui est le client et des expériences auxquelles il/elle a été soumis(e). Le processus de questionnement doit être sensible au vécu subjectif du client, à ses dynamiques intrapsychiques non conscientes, pour être efficace dans la découverte et le dévoilement des besoins, sentiments, fantasmes et défenses. Une des visées principales du questionnement mené avec tact est la découverte par le client lui-même, de son aspiration à être en relation, des interruptions de contact (externe et interne), et des souvenirs qu'il a fallu exclure du champ de conscience autrefois. Une autre visée, peut-être moins importante, est la plus grande compréhension, par le psychothérapeute, du vécu subjectif du client et de son fonctionnement intrapsychique. Dans bien des cas, il s'est avéré important, pour les clients, de découvrir que le thérapeute les écoutait et s'intéressait sincèrement à mieux connaître qui ils étaient. Ce genre de découvertes concernant la relation avec le psychothérapeute crée une juxtaposition (Erskine, 1993) entre le contact disponible ici et maintenant, et le souvenir de ce qui a pu être absent autrefois.

La juxtaposition fournit l'occasion de reconnaître quel était le besoin, et de valider le fait que les sentiments et l'estime de soi sont bien reliés à la qualité de relation avec d'autres personnes importantes.

Il y a des chances que la honte soit une dynamique significative dans la plupart des difficultés d'ordre relationnel incluant la dépression, l'anxiété, l'obésité, les addictions et les tableaux caractériels. L'harmonisation du thérapeute au sentiment non exprimé de honte offre aux clients l'occasion, de révéler leurs processus internes de sentiments, fantasmes, désirs et défenses. L'harmonisation implique d'être pleinement conscient des besoins, affects et dynamiques auto-protectrices propres aux stades développementaux - une perception kinesthésique et émotionnelle de ce que c'est de vivre avec cette expérience là. L'harmonisation se produit lorsque le thérapeute tient compte et respecte le stade de développement à partir duquel le client se débrouille avec la honte et qu'il évite de définir ou de classer les fantasmes, motifs ou comportements de son client. L'harmonisation demande aussi que le thérapeute communique de façon sensible au client qu'il est conscient de ses luttes internes - que le client n'est pas tout seul dans la tristesse de ne pas avoir été accepté comme il est, ni dans la peur de perdre la relation à cause de qui il est. Les processus thérapeutiques d'harmonisation et d'implication reconnaissent la difficulté de révéler sa confusion et ses luttes internes, mesurent à leur juste valeur les tentatives désespérées pour se soutenir soi-même et se débrouiller, et, en même temps, elles donnent le sentiment de la présence du thérapeute.

Certains clients présentant une problématique de honte n'auront pas eu l'expérience de parler de leurs besoins, ou ont une sensibilité au langage liée à l'affect et aux processus internes. Dans certaines familles, avoir des besoins ou exprimer des émotions peut avoir abouti à une ridiculisation de l'enfant, ou à l'ignorer. Lorsqu'il y a eu un manque d'harmonisation, de reconnaissance ou de validation des besoins ou sentiments au sein de la famille ou dans le système scolaire, il se peut que le client n'ait aucun langage relationnel par lequel communiquer son ou ses affects et besoins (Basch, 1988 ; Tustin, 1986). Dans ce genre de familles ou de systèmes scolaires, il y a souvent une absence de contact affectif interpersonnel (une transaction non verbale) dans lequel l'expression d'un affect par une des personnes en relation stimulerait un affect correspondant, en réciprocité, chez l'interlocuteur.

L'affect est par nature, transactionnel-relationnel, et réclame un affect correspondant, en résonance.

L'expression de l'affect de tristesse réclame l'affect de réciprocité qu'est la compassion, et d'éventuels actes de compassion ; l'expression de l'affect de colère réclame les affects réciproques tels qu'attention, sérieux, responsabilité, et, éventuellement, des actes correctifs ; l'expression de l'affect de peur réclame les affects et les actes de réciprocité reliés à la notion de sécurité ; quant à l'expression d'affects de joie, elle réclame des affects de réciprocité tels que vitalité, expression de plaisir.

L'harmonisation inclut la perception, par le thérapeute, de l'affect du client, et, en réciprocité, le thérapeute se trouve stimulé à exprimer un affect correspondant à un comportement en résonance, processus semblable à celui que décrit Stern (1985) comme une interaction saine entre un bébé et la personne qui s'occupe de lui. Le thérapeute peut exprimer son affect réciproque en reconnaissant l'affect du client, ce qui revient à valider que l'affect a une fonction dans la relation client/thérapeute. Il est essentiel que le thérapeute soit bien informé du niveau de développement à partir duquel le client exprime des émotions, et qu'il s'y harmonise. Le client peut avoir besoin que son affect et ses besoins soient reconnus, mais manquer du langage social pour exprimer les émotions dans une conversation. Il peut s'avérer nécessaire que le thérapeute aide le client à nommer son ou ses sentiments, besoins et vécus, ce qui sera le premier pas vers le sentiment d'avoir un impact dans la relation.

L'implication commence par l'attention que prête le thérapeute au bien-être de son client, et le respect qu'il a à l'égard de ses expériences phénoménologiques. Elle émane des questions empathiques formulées au sujet de l'expérience vécue du client, et elle se développe à travers l'harmonisation du thérapeute à l'affect du client, sur un mode qui corresponde au stade développemental de son fonctionnement (Clark, 1991).

La honte et l'arrogance vertueuse sont des processus défensifs dans lesquels la valeur de l'individu est méconnue, et dans lesquels l'existence, la signification et/ou les options pour remédier à une perturbation relationnelle sont faussées ou niées. Une implication de la part du thérapeute, qui va reconnaître, valider, normaliser, être présent, a pour effet de diminuer la méconnaissance interne (Schiff & Schiff, 1971), celle-ci étant une partie du déni défensif accompagnant la honte.

Par la sensibilité à la manifestation de la honte et par la compréhension des fonctions intrapsychiques de la honte et de l'arrogance vertueuse, un psychothérapeute peut guider un client vers la reconnaissance et l'expression de ses sentiments et de ses besoins d'être en relation. Cette reconnaissance-là devient interne et dissout le déni de l'affect ou des besoins lorsqu'elle est donnée par une personne réceptive, qui connaît les besoins et sentiments, et communique à leur sujet.

La validation thérapeutique se produit lorsque le sentiment de honte du client, son estime de lui amoindrie et ses fantasmes défensifs sont vécus comme l'effet de perturbations dans une relation importante pour lui. La validation est le lien cognitif de cause à effet, la réaction thérapeutique face à la méconnaissance de la signification d'une perturbation affectant la relation. La validation permet au client de mieux mesurer la valeur de son expérience vécue, et donc d'avoir une meilleure estime de lui-même.

La normalisation, quant à elle, implique une "dépathologisation" et nécessite de contrer la méconnaissance portant sur la possibilité de résoudre une perturbation relationnelle. A beaucoup de clients, on a dit, quand ils étaient petits : "il y a quelque chose qui cloche en toi" ou, lorsqu'ils furent confrontés à l'impossibilité d'assumer la responsabilité du bien-être de leurs parents, ils ont conclu :"il y a quelque chose qui cloche en moi". La charge de la responsabilité dans la rupture de la relation reposait, de façon erronée, sur l'enfant et non sur l'adulte qui s'en occupait. L'antidote thérapeutique à la méconnaissance des options pour résoudre un problème est d'établir qui a la responsabilité dans la relation. Il est impératif que le thérapeute communique que l'expérience, vécue par le client, de la honte, de l'auto-critique, ou l'anticipation du ridicule, sont des réactions défensives normales quand on est humilié ou ignoré, et qu'elles ne sont pas pathologiques.

L'attribution de la responsabilité peut commencer par le fait que le thérapeute prenne activement la responsabilité de chaque accroc survenant dans la relation thérapeutique. La plupart de ces accrocs se produisent quand le thérapeute ne parvient pas à s'harmoniser avec la communication affective ou non verbale de son client (Kohut, 1984). Lorsque le client porte la responsabilité de la relation, la méconnaissance portant sur les options permettant de résoudre le problème continue, et le sentiment de honte se trouve renforcé. Il peut s'avérer nécessaire que le thérapeute assume l'entière responsabilité de sa non compréhension du vécu du client, de ne pas appréhender ses processus défensifs, ou de ne pas s'être harmonisé avec les besoins et affects de celui-ci.

La présence est l'implication thérapeutique qui sert d'antidote à la méconnaissance, par un individu, de sa propre valeur. La présence thérapeutique se traduit par des questions empathiques continues (Stolorow, Brandschaft & Atwood, 1987) et une harmonisation cohérente eu égard au niveau développemental spécifique d'où émanent l'affect et les besoins. La présence implique l'attention et la patience du thérapeute. Elle communique que le thérapeute est responsable, qu'on peut compter sur lui, et qu'il est digne de confiance. La présence est effective quand le comportement du thérapeute et ce qu'il communique est de nature à respecter et à accroître à chaque instant, la valeur du client. La présence est encore rehaussée lorsque le thérapeute accepte de recevoir l'impact de l'affect du client et son vécu - de prendre au sérieux le vécu de son client.

L'implication du psychothérapeute au travers de transactions qui reconnaissent, valident et normalisent le vécu du client, voilà l'antidote opposable à la toxicité de la méconnaissance portant sur l'existence, la signification ou la responsabilité concernant la résolution du problème des interruptions de contact dans la relation. Quant à la présence harmonisée du thérapeute sur qui l'on peut compter, elle est l'antidote opposable à la méconnaissance de la valeur de l'individu (Bergman, 1991 ; Jordan, 1989 ; Miller, 1987 ; Surrey, 1985).

Une thérapie de la honte et de l'arrogance vertueuse exige, pour être efficace, que le thérapeute s'engage dans une relation-en-contact, qu'il s'engage à être patient ; la compréhension de ce type de thérapie est complexe et nécessite un temps considérable. Questionner, s'harmoniser, s'impliquer suppose une certaine orientation mentale, une façon d'être en relation, ainsi qu'une palette de compétences thérapeutiques. Lorsque celles-ci sont utilisées en résonance avec le niveau développemental du fonctionnement du client, ce sont des méthodes permettant une relation compatissante et compréhensive, grâce à laquelle le client va pouvoir exprimer le sentiment de sa propre valeur, qui n'a peut-être jamais pu être exprimé auparavent.

Le questionnement, l'harmonisation et l'implication sont des descriptions d'interactions respectueuses qui encouragent la relation-en-contact. C'est une psychothérapie de la relation, orientée-vers-le-contact, qui va permettre que les dynamiques protectrices de la honte et de l'arrogance vertueuses soient mises à jour et dissoutes. La focalisation thérapeutique sur la relation-en-contact rehausse chez la personne, son sentiment d'être 0K.



[1]les termes français utilisés dans les Actualités en Analyse Transactionnelle sont : les sentiments parasites

[2]Néologisme traduisant au plus près le terme anglais de "disavowal" (NdT)

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