Integrative Psychotherapy Articles
Le processus
schizoïde
Richard G. Erskine
Traduction de l’article de Richard ERSKINE
paru dans le TAJ 2001
par Steffi Tarade* & Brigitte Rota*
Cet article a été présenté la 1ère fois comme introduction au symposium sur le processus schizoïde qui s’est tenu le 20 août 1999 pendant la conférence annuelle de l ‘ITAA à San Francisco.
Le Dr Erskine a servi de modérateur à ce symposium.
Le terme schizoïde est souvent mal compris, il provient du terme grec utilisé pour les ciseaux et veut dire couper ou fendre, séparer. Je me suis intéressé dans la psychothérapie du processus schizoïde, à travers des présentations de cas, des lectures, des discussions dans les séminaires de développement professionnel à l’Institut de Psychothérapie Intégrative. Ce travail a été une extension de nos réflexions sur des thèmes qui sont liés à la fois à la dissociation et à la honte.
Comme nous avons travaillé avec des personnes qui utilisaient la dissociation comme mécanisme d’adaptation continuel, mais aussi avec des personnes qui utilisaient la honte comme mécanisme primaire pour organiser leurs expériences émotionnelles, nous avons trouvé que nous avions besoin d’affiner nos méthodes de psychothérapie pour accorder plus d’importance au questionnement respectueux concernant le vécu subjectif du client.
Ces clients ont besoin que leur psychothérapeute soit en permanence accordé à leurs états affectifs. Ils ont besoin de sentir que leur tristesse est accueillie avec compassion, leur peur avec de la sécurité et leur colère entendue avec le sentiment d’être pris au sérieux dans l’expression de cette colère (Erskine & Trautman de 1996/1997).
Ces clients ont un besoin particulier de réactivité à l’état affectif chargé de peur qui est si dominant dans le processus schizoïde et souvent relié à une expérience non verbale. Ils ont aussi besoin que le thérapeute soit accordé à leur niveau de développement, leur niveau de fonctionnement ce que Daniel Stern en 1995 a décrit comme « le soi central, le soi émergeant, le soi intersubjectif ». Ces niveaux de fonctionnement développemental sont pré-verbaux. De fait, beaucoup de clients schizoïdes régressent à un niveau de fonctionnement développemental préverbal comme une zone de sécurité en présence d’une menace (Guntrip, 1968).
Une grande partie de notre travail thérapeutique et de notre recherche, a montré l’importance de valider le vécu subjectif du client. Quand la thérapie insiste sur le changement, pas comme un 1er objectif mais comme un effet secondaire de la thérapie, quand la focale thérapeutique n’est pas sur le comportement du client mais sur les processus internes de celui ci, nous nous aboutissons à une forme plus lente de thérapie, mais une forme qui peut remplir le vide psychologique dont la personne schizoïde fait l’expérience en interne.
Ce qui devient apparent dans une psychothérapie focalisée sur la phénoménologie, c’est l’affect du soi du client qui est caché, séquestré, encapsulé. Ce qui se produit avec des personnes schizoïdes, c’est que les affects de terreur et de rage n’ont souvent pas trouvé le chemin du dialogue avec une autre personne. Nous savons de notre expérience avec des personnes victimes de traumatismes que le traumatisme reste traumatique dans la vie de la personne en raison de l’échec d’une relation guérissante. De nombreuses personnes ont des expériences traumatiques, mais ne restent pas traumatisées, parce que quelqu’un a été présent, d’une façon guérissante, aidante, clarifiante, ce qui a permis au traumatisme d’être intégré au vécu de la personne. (Erskine, 1993/1997)
Le processus schizoïde est clairement défini par Eric Berne en 1961 dans sa description des états du moi. C’est le Moi fragmenté par le traumatisme. Les fixations de l’Etat du Moi Enfant interfèrent avec le fonctionnement ici et maintenant de la néopsychée. Berne a définit la fragmentation du Moi et les questions de limites telle que la perte de la réalité, la dépersonnalisation, le sentiment d’étrangeté, comme étant « de caractère schizoïde » (p.67). Chacun de ces Etats du Moi Enfant fragmentés par un traumatisme a besoin d’une relation guérissante réactive. « L’Etat du Moi peut être traité comme un véritable enfant. Il peut être nourri soigneusement, tendrement même, jusqu’à ce qu’il se développe, qu’il se déploie comme une fleur » (p.226).
Des clients qui entrent dans un processus schizoïde ont besoin que le thérapeute crée une relation thérapeutique qui permette à chaque Etat du Moi Enfant d‘émerger, et d’être accueilli avec une réponse qui soit accordée et sécurisante.
Berne (1972) indiquait que le psychanalyste qui avait fournit un meilleur pont heuristique vers l’analyse transactionnelle était Ronald Fairbairn (1952). Il est le 1er psychanalyste à décrire de façon très complète la dynamique relationnelle de la première enfance, celle d’un enfant en relation depuis les premiers instants de la vie et les dégâts qu’il pouvait y avoir s’il y avait un échec dans ces relations primaires.Il a donc articulé les antécédents du processus schizoïde.
Ces difficultés relationnelles ne sont pas des traumatismes violents auxquels nous pensons quand nous travaillons par exemple avec des personnalités multiples. Ce sont plutôt ce à quoi Masud Khan (1963) faisait référence en parlant de « traumatisme cumulatif » (p. 286) les petits ratés d’accordage, négligences, punitions, rejets, semblables à des petits grains de sable qui s’entassent jusqu’à ce qu’ils forment une dune. L’accumulation de ces accordages ratés et des connexions ratées créent les conditions dans lesquelles l’enfant va se cacher de plus en plus dans son propre monde retiré tout en ajustant son comportement pour se conformer à ce que demandent les autres (Lourie, 1996). Pour les clients dans un processus schizoïde, l’intimité et les liens interpersonnels sont une menace pour leur sens du Soi. Ils ont le vécu d’une grande peur du contact ; pour ces personnes une relation authentique est dangereuse.
Bob Goulding (1974) a décrit le processus schizoïde comme une impasse du 3ème degré. C’est le clivage dans le moi de l’enfant qui se produit quand le fonctionnement naturel de l’organisme de la personne est réprimé et nié. Il est donc clivé, et l’enfant devient la façade sociale correspondant aux exigences des personnes adultes autour de lui. La façade sociale adaptative devient « moi » et la partie naturelle fondamentalement humaine devient « pas moi/non moi ». Ce qui est naturel est perdu et clivé de façon si intense que la personne ne peut envisager d’être autrement dans le monde.
Mon expérience clinique et la littérature contemporaine concernant la psychothérapie, m’ont toutes deux amené à croire qu’une relation thérapeutique patiente, consistante, pleine de respect et accordée permet à ces aspects cachés qui ont été faits « non moi » à devenir » moi » (Bollas, 1987, Erskine, Moursund & trautmann, 1999 ; Mitchell, 1993 ; Stolorow, Brandschaft &Atwood, 1987).
Harry Guntrip (1961, 1968 et 1971 ; Hazell 1994) a beaucoup écrit sur le traitement du processus schizoïde. Il décrit comment la personne est poussée à se cacher par la peur et ensuite fait l’expérience d’une solitude profonde et enfermée qui la conduit à sortir de sa cachette dans une interface adaptative avec le monde. Une telle personne est sans arrêt prise dans un combat entre le fait de se cacher et le fait de se connecter aux autres, mais dans l’adaptation.
Guntrip (cité dans Hazell, 1994) définissait la thérapie du processus schizoïde comme « le fait d’établir une relation humaine fiable, pleine de compréhension, une relation qui établisse le contact avec l’enfant traumatisé et profondément enfoui de telle sorte que la personne devienne de plus en plus capable de vivre dans la sécurité d’une nouvelle et réelle relation avec l’héritage traumatique des années précoces où il s’est construit, à mesure que cet héritage traumatique émerge petit à petit dans la conscience.
C’est un processus d’interaction, fonction de 2 variables, la personnalité de 2 personnes qui travaillent ensemble en direction d’une croissance libre et spontanée (p.366). »
Winnicott avait aussi une vaste expérience du traitement du processus schizoïde (Hazell, 1994, Little 1990). En1965, il décrivait les ingrédients essentiels d’une psychothérapie en profondeur : fournir un environnement fiable, plein de respect, de compréhension, tel que le client ne l’a jamais eu et dont il a besoin pour pouvoir se redévelopper et sortir de ses conflits intérieurs et de ses inhibitions. Un tel environnement permet à la personne de découvrir ce qui est naturel pour elle. Guntrip et Winnicott ont tous deux encouragé une psychothérapie qui se concentre sur les processus internes du client et non spécifiquement sur les résultats en termes de comportement, donc une psychothérapie qui apporte une relation guérissante à un état du moi Enfant traumatisé.
Pour finir,
il est approprié de citer Guntrip et ses convictions concernant la psychothérapie
du processus schizoïde, une attitude qu’une de ses clientes a décrit
comme le fait de la
« chérir ».
« Il est de la responsabilité du thérapeute de découvrir de quels types de relations parentales le client a besoin pour aller mieux… ».
L’enfant grandit et devient une personne en difficultés parce qu’il n’a pas été aimé comme une personne de plein droit et en tant qu’adulte malade, il vient voir le psychothérapeute convaincu à l’avance que ce « professionnel » n’est pas réellement intéressé par lui, qu’il n’est pas véritablement préoccupé par ce qu’il lui arrive. Le genre d’amour dont le patient a besoin, est le genre d’amour dont il peut penser à un moment de la thérapie, que le thérapeute est la 1ère personne a lui donner.
Cela implique de le prendre au sérieux en tant que personne dans ses difficultés, de le respecter en tant qu’individu de plein droit, même dans ses anxiétés, de le traiter comme une personne qui a le droit d’être comprise et pas seulement blâmée, rejetée, pressée et formée afin d’arranger d’autres personnes ; de le regarder comme un être humain de valeur, ayant sa nature propre et qui a besoin d’un bon environnement humain pour grandir, de lui montrer un contact humain authentique, une réelle sympathie, de croire en lui afin qu’en temps et en heure il puisse devenir capable de croire en lui même.Tout cela sont les ingrédients de l’amour parental vrai (agapé pas eros) et si le psychiatre n’est pas capable d’aimer ses patients de cette manière, il ferait mieux d’abandonner la psychothérapie… »
Richard G. Erskine, Ph.D. est le directeur de formation de l’Institut de Psychothérapie Intégrative de New York City. Conjointement avec Marilyn Zalcman il a reçu le Prix Scientifique Eric Berne en 1982 pour le développement de l’analyse (du racket) intrapsychique et en 1998 avec Rebecca Trautmann il a reçu le Prix Eric Berne pour huit articles publiés dans le Transactional Analysis Journal et pour Theories and Methods of an Integrative Transactional Analysis : A volume of selected articles (1997, San Francisco : TA Press). Il peut être contacté à l’Insititute for Integrative Psychotherapy, 500 East 85th St. New York, NY 10028, U.S.A Site web : IntegrativeTherapy.com
References :
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Berne E. (1972) What do you say after you say hello ? The psychology of human destiny New York : Grove Press
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Winnicott D.W. (1965) The maturational processes and the facilitating environnement : Studies in the theory of emotional development, London : Hogarth Press
Les traductrices :
Steffi TARADE est psychothérapeute, traductrice d’articles, en congrès et formation.
Brigitte ROTA est psychologue clinicienne, psychothérapeute, exerçant à Lyon et à Marseille, membre de IIPA.