Psychothérapie Intégrative Articles
Le processus de la Psychothérapie intégrative
Richard G. Erskine et Rebecca L. Trautmann
Traduction : Hélène CADOT
Nous considérons les personnes et les relations comme des processus dynamiques, et il en va de même du développement de la théorie, puisqu'elle trouve son origine dans le processus dynamique de l'individu qui théorise, et dans le processus dynamique de chaque relation thérapeutique qui guide et enrichit cette théorie par des informations. C'est pourquoi nous aimerions saisir l'occasion de ce séminaire pour dire comment s'est développée la Psychothérapie Intégrative, les réflexions que nous nous faisons à son sujet, et la façon dont nous la pratiquons à l'heure actuelle.
Le terme "intégrative" de psychothérapie intégrative, a beaucoup de significations. Il se réfère au processus d'intégration de la personnalité : aider le client à assimiler et harmoniser le contenu de ses Etats du Moi, assouplir ses mécanismes de défense, abandonner son Scénario de vie, et réinvestir le monde dans un plein contact. C'est le processus consistant à réaliser un tout : faire en sorte que les aspects désappropriés, non conscients, non résolus du Moi fassent désormais partie intégrante d'un Soi en cohésion. Cette intégration permet d'avoir le courage de faire face à chaque moment de la vie, avec ouverture et fraîcheur, sans la protection d'une opinion, position, attitude ou attente préétablie.
"Intégrative" se réfère également à l'intégration de la théorie, c'est-à-dire à faire tenir ensemble les approches de la psychothérapie dans leurs aspects affectif, cognitif, comportemental, physiologique et systémique.
Les concepts sont employés dans la perspective du développement humain, dans laquelle chaque phase de la vie présente des tâches existentielles cruciales, des sensibilités à tel besoin spécifique, des crises, et l'occasion de nouveaux apprentissages.
La psychothérapie intégrative prend en compte de nombreux points de vue sur lefonctionnement humain : l'approche psychodynamique, centrée-sur-le-client, comportementaliste, la thérapie familiale, la Gestalt thérapie, la thérapie Reichienne, les théories de la relation d'objet, la psychologie psychanalytique du Soi et l'Analyse Transactionnelle. Chaque approche offre une explication valable du comportement, et se trouve enrichie lorsqu'on l'intègre sélectivement aux autres.
Les interventions psychothérapeutiques sont fondées sur la connaissance du processus normal de développement validée par la recherche, et les théories décrivant les processus d'autodéfense du Moi sont utilisées quand le cours normal du développement a subi des interruptions.
L' A B C
Les idées préliminaires de la psychothérapie intégrative ont été présentées pour la première fois par Richard Erskine, en 1972, lors de cours à l'Université de l'Illinois. Un aperçu de ces idées a été publié dans l'article "l'ABC de la Psychothérapie Efficace" (Erskine, 1975) et elles ont été élaborées, depuis, dans l'article "la guérison du Scénario" (Erskine, 1980). Quelques-unes des méthodes cliniques qui seront brièvement décrites ici sont présentées, transaction par transaction, dans Integrative Psychotherapy in action (Erskine & Moursund, l988)[1].
La focalisation de l'intégration concernait trois dimensions primaires du fonctionnement humain, et donc, du processus psychothérapeutique : cognitif, affectif et comportemental. Les théories cognitives insistent sur les processus mentaux d'une personne et se concentrent sur la question : "pourquoi ?" L'approche cognitive explique et fournit un modèle de compréhension. Pourquoi avons-nous les problèmes que nous avons ? Pourquoi notre esprit fonctionne-t-il ainsi ?
Cette approche suppose que la psychothérapie est un processus intellectuel et que le client, une fois qu'il aura compris pourquoi il ou elle se comporte et pense de telle manière, sera à même de résoudre les conflits impliqués.
L'approche comportementaliste est nettement différente de l'approche cognitive, puisqu'elle traite de la question "Quoi ?". La thérapie comportementaliste décrit ce qui existe et cherche à trouver un comportement approprié. Quel est le problème spécifique ? Quelles circonstances ont formé et maintiennent encore aujourd'hui le comportement ? Quels changements sont néces-saires dans le système de gratification, pour produire un nouveau comportement ?
Comme la thérapie comportementaliste a émergé de la psychologie expérimentale, on y prête une grande attention aux mesures qu'il faut appliquer pour l'évaluation du changement réalisé.
L'application de la thérapie comportementaliste entraîne un glissement de la question "Pourquoi ?", vers la question "Quoi" ? Le but de la thérapie comportementaliste est d'identifier et de renforcer les comportements désirés.
Les thérapies cognitives et comportementalistes sont très différentes d'une psychothérapie affective. Une approche affective s'occupe de la question "Comment ?" Comment se sent une personne ? Ici, la focalisation va se faire sur le processus expérimenté à l'intérieur : comment chaque personne ressent émotionnellement ce qui s'est passé. On se concentre principalement non plus sur le pourquoi de la thérapie cognitive, ni sur le quoi de la thérapie comportementaliste, mais sur le comment nous nous sentons dans l'Ici et Maintenant. Un des présupposés fondamentaux, dans la thérapie affective, est que les gens ne sont pas en contact avec leurs sentiments/émotions[2]. Elle considère que défaire les blocages émotionnels et exprimer pleinement l'affect refoulé produira une clôture émotionnelle et permettra de vivre une gamme plus vaste d'expériences affectives.
Outre les dimensions de l'affect, du comportement, et de la cognition, nous avons inclus la dimension physiologique. Au fur et à mesure du développement de nombreuses théories et modalités de relations cerveau/corps, y compris la recherche sur l'immunologie neuropsychique, il est devenu impératif d'inclure une focalisation sur le corps, comme partie intégrante de la psychothérapie. En effet, des perturbations dans l'affect et la cognition sont susceptibles d'affecter le corps, tout autant qu'un dysfonctionnement physiologique peut imprimer des modifications au comportement, à l'affect et à la cognition.
Nous considérons les fondations affectives, comportementales, cognitives et physiologiques de l'organisme humain à partir d'une perspective systémique, un modèle cybernétique dans lequel toute dimension a un effet interrelié aux autres dimensions. De même que l'individu est affecté par les autres dans une famille ou un système professionnel, celui-ci, à son tour, contribue au caractère unique du système. Sur le même mode systémique, les dimensions intrapsychiques et observables d'un individu sont naturellement influencées dans la fonction psychologique de l'individu. La perspective systémique conduit à la question : "quelle est la fonction d'un comportement particulier, ou d'un affect, d'une croyance, ou d'un geste corporel, sur l'organisme humain pris comme un tout" ?
L'un des points de mire d'une psychothérapie intégrative consiste à vérifier si chacun de ces domaines - affectif, comportemental, cognitif, et physiologique - est ouvert ou fermé au contact, et à appliquer des méthodes qui favorisent le plein contact.
Le contact
Une des prémisses principales de la psychothérapie intégrative est que le contact constitue l'expérience la plus précocement motivante du comportement humain. Le contact est simultanément interne et externe : il implique la pleine conscience des sensations, sentiments, besoins, activité sensori-motrice, pensées et souvenirs qui apparaissent dans l'individu et un glissement vers une pleine conscience des événements externes, tels qu'ils sont enregistrés par chacun des organes sensori-moteurs. Avec un plein contact interne et externe, les expériences sont intégrées sur un mode continu. A tel point que, quand l'individu est engagé dans un plein contact, les besoins vont émerger, être ressentis et agis en relation à l'environnement, d'une manière organiquement saine.
Lorsqu'un besoin émerge, a été assouvi et n'est plus d'actualité, la personne se tourne vers l'expérience suivante. Lorsque le contact est interrompu, les besoins ne sont pas satisfaits. Si l'expérience liée à l'émergence du besoin n'est pas naturellement close, elle va nécessiter une clôture artificielle. Ces clôtures artificielles sont la substance des réactions et décisions qui risquent de se fixer. Elle sont évidentes dans les cas de déni d'un affect, de séquences habituelles de comportement, d'inhibitions neurologiques dans le corps, et dans les croyances qui limitent la spontanéité et la souplesse dans la résolution de problèmes et dans la façon de se relier aux autres. Toute interruption défensive du contact empêche la pleine conscience. Ce sont les fixations de l'interruption de contact, interne et externe, qui forment le centre d'intérêt de la psychothérapie intégrative.
Les relations
Le contact se rapporte également à la qualité des transactions échangées entre deux personnes : la pleine conscience du Soi personnel et de celui de l'autre, une rencontre sensible de l'autre et une reconnaissance authentique de notre propre Soi. Les relations entre les personnes sont construites sur le contact, la plus précoce motivation pour établir et maintenir des relations.
La psychothérapie intégrative recourt à plusieurs perspectives concernant le fonctionnement humain. Etablir une théorie intégrative suppose également d'extraire les concepts et idées qui ne sont pas cohérents avec cette théorie, pour composer un noyau cohérent de constructions pouvant enrichir et guider le processus psychothérapeutique.
Le concept le plus cohérent dans toute la littérature psychologique et psychothérapeutique, c'est celui de la relation. Depuis l'idée d'une théorie du contact, de Laura et Frédéric Perls (1944), (Perls, Hefferline & Goodman, 1951), en passant par Fairbairn (1952) qui postule que les êtres humains recherchent la relation dès le début de leur existence et tout au long de celle-ci, puis par Sullivan (1953) qui insiste sur le contact interpersonnel, jusqu'à Guntrip (1971) et Winnicott (1965), avec leurs théories de la relation, et des applications cliniques correspondantes, Berne (1961, 1972) avec ses théories des Etats du moi et du Scénario, Rogers (1951) et sa thérapie centrée-sur-le-client, Kohut (1971, 1977) et ses successeurs (Stolorow, Brandschaft & Atwood, 1987), qui appliquent un "questionnement empathique soutenu" (p10), les théories de la relation développées par le Centre Stone (Surrey, 1985, Miller, l986, Bergman, 1991), une longue succession d'enseignants, auteurs et thérapeutes ont insisté sur le fait que la relation - à la fois lors des étapes précoces de l'existence et tout au long de l'âge adulte - est la source de ce qui donne du sens et une validation au Soi.
La littérature sur le développement humain conduit également à considérer que le sentiment du Soi et de l'estime de soi émerge du contact dans la relation. Les stades du développement humain qui couvrent l'ensemble du cycle de la vie, selon Erikson (1950) décrivent la formation de l'identité (Moi) comme excroissance des relations interpersonnelles (confiance /méfiance, autonomie/honte et doute, etc.). Les descriptions faites par Mahler (1968, 1975) des stades précoces du développement de l'enfant mettent l'accent sur la relation mère-enfant. Bowlby (1969, 1973, l980) a insisté sur l'importance des liens physiques précoces aussi bien que prolongés, dans la création d'un noyau viscéral à partir duquel émergent toutes les expériences de soi et de l'autre. Lorsque un tel contact ne se produit pas en harmonie avec les besoins de l'enfant, il se constitue une défense physiologique contre la perte de contact, décrite de façon poignante par Fraiberg dans "Pathological défenses in infancy" (1983).
Si l'on part d'une assise théorique du contact dans la relation, couplée avec le concept bernien d'Etats du Moi (particulièrement l'Etat du Moi Enfant), on en vient naturellement à se concentrer sur le développement de l'enfant. Les recherches de Daniel Stern (1985) et de John Bowlby (1969, 1973, 1980) exercent actuellement une influence prédominante, ce qui s'explique en grande partie par leur insistance sur l'attachement précoce et sur le besoin naturel d'être en relation qui perdure toute la vie. S'appuyant sur ses recherches concernant les petits enfants, Stern construit un système pour comprendre le développement du sens de soi qui émerge à partir de quatre domaines de l'être en relation : l'être en relation émergent, le noyau de l'être en relation, l'être en relation intersubjectif, et l'être en relation verbale. Lorsque nous adoptons dans notre pratique clinique, cette vision de la personne en développement, nous disposons alors d'une évaluation en profondeur de la vitalité de notre client et de son activité de construction, ce qui est tellement précieux pour savoir qui il est.
Si nous envisageons le client simultanément à partir de la perspective de ce dont un enfant a besoin et de comment il/elle procède à ses expériences, et que nous considérons celles-ci comme des processus vitaux en cours, nous utilisons notre Soi pour concourir de façon dirigée, au processus de développement et d'intégration. Ce qui est souvent très important dans la psychothérapie, c'est le processus de l'harmonisation, pas seulement avec certaines pensées, sentiments, comportements ou sensations physiques, mais également avec ce que Stern appelle les "affects de vitalité", de sorte que nous tentions de créer une expérience de connexion-de-ressenti ininterrompue. La sensation de soi et la sensation d'être relié qui se développe alors semble cruciale pour le processus de guérison, particulièrement lorsqu'il y a eu des traumatismes spécifiques dans la vie du client, et pour le processus d'intégration, (former un tout), lorsque certains aspects du Soi ont été désappropriés ou niés justement à cause des défauts de contact dans la relation.
L'édifice psychologique
La psychothérapie intégrative corrèle des constructions issues de beaucoup d'écoles théoriques différentes, pour aboutir à une organisation unique de concepts théoriques et de méthodes correspondantes d'interventions cliniques. Les concepts de contact dans la relation, Etats du Moi et Scénario de vie sont au centre de notre théorie intégrative.
Etats du moi et transfert
Le concept original d'Eric Berne (1961), les Etats du Moi, fournit un montage d'ensemble, qui unifie beaucoup d'idées théoriques (Erskine, 1987, l988). Berne a défini les Etats du Moi Enfant comme un Moi archaïque, constitué de fixations datant d'étapes de développement antérieures ; comme des "vestiges de l'enfance de l'individu" (1961, p.77). Les Etats du Moi Enfant sont la personnalité entière d'une personne telle qu'il ou elle était à une période antérieure de son développement (Berne, 1961, 1964). Lorsqu'elle fonctionne dans son Etat du Moi Enfant, la personne perçoit ses besoins et sensations internes, ainsi que le monde extérieur, comme il ou elle le faisait à un âge développemental antérieur. Ceci inclut les besoins, désirs, pulsions, et sensations ; les mécanismes de défense ; les processus de pensée, perceptions, sentiments et comportements de la phase de développement à laquelle a eu lieu la fixation. Les fixations de l'Etat du Moi Enfant se sont produites lorsque des besoins de contact aigus dans l'enfance n'ont pas été satisfaits, et que le recours à des défenses contre le malaise lié aux besoins non satisfaits est devenu habituel chez l'enfant.
Les Etats du Moi Parent sont les manifestations d'introjection de la personnalité de vraies personnes, telles que perçues par l'enfant à l'époque de l'introjection (Loria, l988).
L'introjection est un mécanisme de défense (incluant la désappropriation, le déni et le refoulement), qu'une personne utilise souvent lorsqu'il manque un plein contact psychologique entre un enfant et les adultes responsables de ses besoins psychologiques. Lorsqu'on internalise le parent avec lequel on est en conflit, le conflit devient une part du Soi et ressenti intérieurement, à la place de ce parent tellement désiré. La fonction de l'introjection est de procurer l'illusion du maintien de la relation, mais au prix d'une perte du Soi.
Les contenus de l'Etat du Moi Parent peuvent être introjectés à n'importe quel moment de la vie, et, s'ils ne font pas l'objet d'une réévaluation lors du processus de développement ultérieur, ils risquent de demeurer inassimilés ou non intégrés dans l'Etat du Moi Adulte. Les Etats du Moi Parent constituent un corps étranger de personnalité, installé dans le Moi et vécu phénoménologiquement par la personne, comme étant elle-même, mais, en réalité, ils forment une personnalité d'emprunt, risquant d'exercer des influences intrapsychiques sur l'Etat du Moi Enfant.
L'Etat du Moi Adulte consiste en un développement émotionnel, cognitif et moral congruent avec l'âge actuel ; en la capacité à être créatif, à s'engager en un plein contact dans des relations qui ont du sens. L'Etat du Moi Adulte tient compte de ce qui se passe à chaque instant et intègre, sur le plan interne et externe, les expériences du passé et leurs effets, ainsi que les influences psychologiques et identifications avec les personnes importantes de notre vie.
Les théories de la relation d'objet, sur l'attachement, la régression, l'objet internalisé (Bolles, 1977, 1987, Fairbairn, l952, Guntrip, 1971, Winnicott, 1965) prennent plus de sens si on les intègre aux concepts d'Etats du Moi Enfant conçus comme fixations d'un stade antérieur de développement, et aux concepts d'Etat du Moi Parent comme manifestations d'introjections de la personnalité de personnes réelles, telles qu'elles ont été perçues par l'enfant, à l'époque de l'introjection. (Erskine, 1987, 1988, 1991).
On peut combiner le concept de fonction d'Objet-Soi, dans la psychologie psychanalytique du Soi (Kohut, 1971, l977), et celui d'interruptions de contact défensives, présent dans la Gestalt thérapie, (Perls, Hefferline & Goodman, 1951), au sein d'une théorie des Etats du Moi, pour expliquer la présence permanente d'états séparés du Moi qui ne s'intègrent pas dans l'Etat du Moi Adulte (Erskine, 1991).
La théorie des Etats du Moi sert aussi à définir et unifier les concepts psychanalytiques traditionnels de transfert (Brenner, 1979, Friedman, 1969, Langs, 1976) et de transactions non transférentielles (Berne, 1961, Greenson, 1967, Lipton, 1976). Dans la perspective de la psychothérapie intégrative sur les Etats du Moi, on peut envisager le transfert comme suit :
- les moyens par lesquels le client peut décrire son passé, les besoins développementaux qui ont été contrariés, et les défenses qu'il a érigées pour compenser
- la résistance à la pleine remémoration et, paradoxalement, une mise en acte non consciente des expériences de l'enfance
- l'expression d'un conflit intrapsychique et le désir de parvenir à l'intimité dans les relations
- ou l'expression de l'aspiration psychologique universelle à organiser l'expérience et à créer du sens
C'est cette vision intégrative du transfert qui permet de respecter en continu le transfert inhérent à la communication et de reconnaître que les transactions peuvent être de nature non-transférentielle.
Le Scénario
Le concept de Scénario sert de troisième élément unificateur et décrit comment, en tant que bébés et jeunes enfants, nous commençons à développer les réactions et les attentes qui définissent, pour nous, le genre de monde dans lequel nous vivons, et le type de personne que nous sommes. Incarnées physiquement dans les tissus organiques et dans les évènements biochimiques, émotionnellement et cognitivement dans la forme des croyances, attitudes et valeurs, ces réponses forment un plan qui va guider la façon dont nous menons notre vie (Erskine, 1980). Eric Berne a nommé ce plan un "Scénario" (1961, 1972) et Fritz Perls, inventeur de la Gestalt thérapie, a décrit une séquence répétitive et auto-suffisante (1944) et l'a appelée "Scénario de vie"(1975). Quant à Alfred Adler, il en a parlé en termes de "style de vie" (Ansbacher & Ansbacher, 1956), Sigmund Freud a utilisé le terme de "compulsion de répétition" pour décrire de semblables phénomènes (1923/1961), et des auteurs psychanalytiques récents se réfèrent à une séquence développementale pré-formée, appelée "fanstasme inconscient" (Arlow, 1969b, p8) et "schemata" (Arlow, 1969a, p29, Slep, 1987).
Dans la psychologie psychanalytique du soi, l'expression "système du soi" est utilisée pour signifier des séquences récurrentes d'interactions de faible estime de soi et de défaite de soi (Basch, 1988, p100), qui sont le résultat de "principes organisateurs inconscients", nommés "inconscient préreflexif" (Stolorow & Atwood, 1989, p.373).
Stern (1985), dans ses recherches analytiques sur le bébé et son développement de petit bonhomme qui trottine, conceptualise ces séquences apprises comme "représentations d'interactions qui ont été généralisées" (p.97).
La littérature psychothérapeutique récente a décrit ces plans comme "théorie de la confirmation de soi" (Andrews, 1988, l989), comme un système auto-renforçant ou un "plan d'auto protection", nommé "Système du Scénario" (Erskine & Moursund, 1988). Le Système du Scénario est divisé en trois composants fondamentaux : les croyances de Scénario, les manifestations de Scénario, et les expériences Renforçantes.
* les Croyances de Scénario
Essentiellement, le Scénario répond à la question "que fait une personne comme moi dans un monde comme ça, avec des gens comme vous ?"
Les réponses à cette question, qu'elles soient conscientes ou inconscientes, forment les croyances de Scénario - la compilation des réactions de survie, des représentations d'interactions qui ont été généralisées, décisions, conclusions, défenses, et renforcements qui se sont produits lors du processus de croissance.
Les croyances de Scénario peuvent être décrites selon trois catégories : croyances sur soi, croyances sur autrui, et croyances sur la qualité de la vie. Une fois adoptées, les croyances de Scénario vont influencer les stimuli (internes et externes), leur interprétéation et si oui
ou non une action s'ensuivra. Elles deviennent la prophétie autogratifiante grâce à laquelle les attentes de la personne sont inévitablement confirmées comme justes (Erskine & Zalcman, 1979). Les Croyances de Scénario sont maintenues pour :
a/ eviter de revivre les besoins non satisfaits et les sentiments correspondants, supprimés lors de la formation du Scénario
b/ fournir un modèle prédictif de la vie et des relations interpersonnelles (Erskine & Moursund, 1988). La prédiction est importante, notamment lorsqu'il y a crise ou trauma. Bien que le Scénario soit souvent personnellement destructeur, il fournit néanmoins un équilibre psychologique ou une homéostasie : il donne l'illusion de prédiction (Perls, 1944, Bary & Hufford, 1990). Toute rupture dans le modèle prédictif génère de l'anxiété : pour éviter ce type de malaise, nous organisons nos perceptions et expériences pour maintenir nos croyances de Scénario. (Erskine, 1981).
* La manifestation du Scénario
Sous stress ou lorsque les besoins fondamentaux ne sont pas satisfait dans la vie de l'adulte, une personne est susceptible d'instaurer des comportements qui vérifient les croyances de Scénario. On nomme ces comportements des manifestations scénariques, pouvant inclure tout comportement observable (choix de mots, structure de phrase, ton de la voix, gamme d'émotions, gestes et mouvements corporels), qui est la manifestation directe des croyances scénariques et des besoins et sentiments refoulés (le processus intrapsychique).
Quelqu'un peut agir d'une manière définie par les croyances de son Scénario, par exemple en disant "je ne sais pas", alors qu'il/elle croit "je suis bête". Quelqu'un d'autre peut se conduire d'une manière telle qu'il se défende, socialement, contre les croyances de son Scénario, comme, par exemple, être excellent à l'école et obtenir beaucoup de diplômes, ceci lui permettant que sa croyance "je suis bête" ne soit pas découverte par les autres.
Les individus ont souvent des réactions physiologiques, qui sont partie prenante des manifestations scénariques, en plus ou à la place des comportements visibles. Ces expériences internes ne sont pas immédiatement observables ; cependant, la personne peut les relater : des palpitations dans l'estomac, une tension musculaire, des maux de tête, une colite, ou n'importe laquelle des myriades de réponses somatiques aux croyances de Scénario. Les personnes qui ont de nombreuses plaintes somatiques ou maladies, sont fréquemment celles qui croient "il y a quelque chose qui cloche en moi" et ont recours à des symptômes physiques pour renforcer la croyance - défense cognitive servant à garder le système du Scénario intact.
Les manifestations scénariques incluent également des fantasmes dans lesquels l'individu imagine des comportement, les siens ou ceux d'autrui, apportant un soutien aux croyances de Scénario. Ces comportements fantasmés fonctionnent aussi efficacement que des comportements observables, pour ce qui est du renforcement des croyances et sentiments de Scénario - dans certains cas, encore plus efficacement. Ils agissent sur le système exactement comme s'ils étaient des événements qui s'étaient réellement produits.
* Les expériences renforçantes
Toute manifestation scénarique peut aboutir à une expérience renforçante - un événement qui "prouve" que la croyance de Scénario est valable, et donc justifie le comportement propre à la manifestation de Scénario. Les expériences renforçantes sont une collection de souvenirs chargés d'émotions, réels ou imaginaires, concernant des conduites d'autrui ou de soi-même ; un rappel d'expériences corporelles internes ; ou les restes de fantasmes, rêves, ou hallucinations. Les expériences renforçantes fonctionnent comme un mécanisme de feed-back destiné à renforcer les croyances de Scénario. Seuls les souvenirs qui soutiennent la croyance de Scénario sont acceptés et retenus. Les souvenirs annulant les croyances de Scénario tendent à être rejetés ou oubliés car ils mettraient la croyance au défi, ainsi que l'ensemble du processus défensif.
Les croyances de Scénario de chaque personne fournissent un cadre de référence distordu au travers duquel elle voit elle-même, les autres et la qualité de la vie. Pour s'engager dans les manifestations scénariques, les individus doivent méconnaître les autres options ; fréquemment, ils maintiendront que leur comportement est le plus "naturel", ou la "seule" manière de faire face.
Lorsqu'elles sont utilisées dans la dimension des échanges sociaux, les manifestations scénariques risquent de produire des expériences interpersonnelles qui, à leur tour, sont tributaires du renforcement des croyances de scénario et y contribuent. Nous pouvons donc dire que le Système de Scénario de toute personne est distordu et s'auto-renforce à travers l'opération de ses trois sous-systèmes interconnectés et interdépendants : les croyances et sentiments de Scénario, les manifestations scénariques et les expériences renforçantes.
Le Système de Scénario sert de défense contre la conscience des expériences du passé, des besoins et émotions qui y sont reliés, et en même temps, il répète ce passé.
Principes et Domaines
Deux principes guident l'ensemble de la psychothérapie intégrative. Le premier est notre engagement dans un changement de vie positif chez le client. La psychothérapie intégrative ne vise pas seulement à enseigner à un client quelques nouveaux comportements, ou des façons de s'y prendre pour le faire sortir de sa crise actuelle. Elle doit, d'une manière ou d'une autre, affecter le Scénario de vie du client. Sans changement de Scénario, la thérapie ne procure qu'un soulagement temporaire. Nous souhaitons aider chaque client à intégrer son ou sa perspective fixée, en l'acceptation souple et ouverte d'apprendre et de croître lors de chaque expérience.
Le second principe qui nous guide est celui du respect de l'intégrité du client. Grâce au respect, à la douceur, la compassion, et au maintien du contact, nous établissons une présence personnelle et permettons une relation interpersonnelle qui affirme l'intégrité du client. On peut décrire au plus près cette façon de respecter le client comme une invitation cohérente au contact interpersonnel, entre client et thérapeute, accompagné d'un soutien permettant au client d'être en contact avec son expérience interne et de recevoir une validation de cette expérience.
Les quatre dimensions du fonctionnement humain qui ont été soulignées ci-dessus - la dimension affective, comportementale, cognitive, physiologique - indiquent également les domaines dans lesquel le travail thérapeutique se fera. Le travail cognitif prend place au début, à travers l'alliance thérapeutique entre l'état du moi Adulte du client et du thérapeute. Il inclut des éléments comme : le contrat de changement, la planification des stratégies de changement, et la recherche d'"insight" dans les vieux montages. Le travail comportemental mène à impliquer le client dans des nouveaux comportements qui vont à l'encontre du vieux Système de Scénario qui provoqueront des réponses de la part des autres, incongruentes avec la collection de souvenirs renforçant le Scénario. Nous donnons parfois des "devoirs à faire à la maison", de sorte que l'expérience thérapeutique dépasse les séances formelles de thérapie, et pendant les séances, nous invitons les clients à se comporter différemment avec nous, avec les membres du groupe, et en imagination, avec les personnes qui l'ont aidé(e) à construire et maintenir son Scénario de vie tout au long des années.
Quant au travail affectif, il peut impliquer des sentiments/émotions actuels mais également des expériences archaïques ou introjectées. Souvent, le client vit cela comme le retour à un âge où il a fait ses premières introjections, où il a pris ses décisions de Scénario de vie, où il a fortement renforcé ces introjections ou décisions. Dans cet état régressé, les clients ressentent et pensent comme ils le faisaient lorsqu'ils étaient en bas âge, montrant de nombreuses attitudes et décisions qui sont entrées dans la création de leurs Scénarios de vie. Cette régression, soutenue par le thérapeute, est l'occasion d'exprimer les sentiments, besoins et désirs qui ont été refoulés et de les vivre dans un contact qui n'a pas pu être possible jadis. Le client peut se remémorer les décisions inhibitrices datant d'il y a des années, de façon très vivace, il peut alors les réévaluer, et procéder à une redécision à leur sujet.
La quatrième voie royale vers le Scénario est la voie physique : travailler directement avec les structures corporelles. Comme Wilhelm Reich l'a pointé (1945), les gens extériorisent leurs structures de caractère au travers de leur corps physique. Les décisions du Scénario de vie amènent inévitablement une distorsion de contact, et de telles distorsions engendrent à leur tour un certain degré de tension musculaire. Plus le temps passe, plus la tension devient habituelle et a des chances de se refléter dans la structure actuelle du corps de la personne.
En travaillant directement sur cette structure, au moyen d'un massage musculaire, d'un changement des pratiques respiratoires, d'un encouragement à faire des mouvements inhibés, nous pouvons souvent aider le client à accéder à d'anciens souvenirs et montages, et à expérimenter la possibilité de nouvelles options.
Nous limitons rarement une séquence de travail thérapeutique à un seul domaine ; la plupart du temps, notre travail implique plusieurs d'entre eux, ou tous. Il s'agit là d'un autre aspect intégratif de notre travail. Lorsqu'une personne ne se défend plus contre son expérience interne, elle devient capable d'intégrer le fonctionnement psychologique dans tous domaines, prenant, élaborant et émettant des messages par chaque voie (affective, cognitive, comportementale et physiologique) et d'opérer facilement la translation interne, d'une voie à une autre.
Considérer sur quel Etat du Moi le travail va d'abord se centrer est une autre approche de la psychothérapie intégrative. Une séquence donnée peut d'abord se centrer sur l'Enfant, le Parent, le dialogue Enfant/Parent, ou sur l'Etat du Moi Adulte. Le travail avec l'Etat du Moi Enfant démarre habituellement par une invitation faite au client à se remémorer, ou à revivre une vieille expérience datant de son enfance. Dans l'Etat du Moi Enfant, le client a directement accès aux expériences anciennes et il peut revivre ces souvenirs, qui sont soit réels soit des représentations. A travers ce processus de remémoration, de revécu des besoins et sentiments de cette époque, parfois en exprimant ce qui n'avait pas été exprimé, et parfois, en recevant une réponse à ces besoins et sentiments, le client va pouvoir intégrer l'expérience précocément fixée. L'invitation peut être quelque chose comme : "retourne à une époque où tu as déjà ressenti ceci", ou bien cela peut consister à faire appel aux voies visuelles, auditives ou kinesthésiques qui aident le client à retourner dans de vieux souvenirs, qui ne sont pas disponibles à la conscience de l'Etat du Moi Adulte. Parfois, un mouvement physique ou un travail de massage guide le client dans ses expériences infantiles, grâce à une série d'échanges verbaux au cours desquels l'Etat du Moi Enfant est de plus en plus impliqué. Il peut être indiqué de procéder à un exercice de relaxation structuré.
Une fois le client immergé dans l'expérience nécessaire, le thérapeute est en mesure d'aider l'Enfant (l'Adulte étant en position d'observateur) à découvrir la façon dont il a formé son Scénario de vie et comment il l'a vécu toutes ces années. Le client se remémore ou revit le traumatisme ancien, les besoins précoces non satisfaits, et réexpérimente le processus de réaction ou de décision par lequel il/ elle a créé une clôture artificielle pour se débrouiller avec ces besoins. Cette re-création d'une ancienne scène est à la fois la même que l'expérience originelle (les sentiments, souhaits, et besoins sont à nouveau ressentis, parallèlement aux contraintes qui ont conduit à cette clôture prématurée), et différente, dans la mesure où l'Etat du Moi Adulte qui observe et où le thérapeute, qui assure le soutien, créent de nouvelles ressources et options qui n'étaient pas disponibles à l'époque. Ce sont ces nouvelles ressources qui rendent possible une nouvelle décision. (Goulding & Goulding, 1979).
Comme le client va vivre son Soi-au-monde d'une manière radicalement différente lors de la régression thérapeutique, le fait de changer quelque chose au niveau de la réaction ou décision de survie archaïque, peut briser le schéma ancien du Scénario de vie. Désormais, le client voit, entend et ressent lui-même et le monde d'une manière nouvelle, et peut donc répondre à lui-même et aux autres selon des modalités nouvelles. Parfois, lorsqu'il n'y a ni souvenirs ni traumatismes spécifiques, l'Enfant est intégré par un contact permanent et cohérent avec le thérapeute qui s'harmonise, qui répond aux besoins du client en reconnaissant, validant et lui signifiant sa normalité. Ce type de contact dans la relation fournit un espace thérapeutique pour le client, qui lui permet de laisser tomber les défenses qui interrompent le contact, et les reliquats des croyances scénariques.
C'est essentiel pour l'intégration de l'Etat du Moi Enfant dans l'Etat du Moi Adulte. Lorsque le schéma scénarique est d'abord relié à un Etat du Moi Parent influent, (introject), nous pouvons inviter le client à énergétiser ce Parent : "être" papa ou maman, et à entamer une conversation avec le thérapeute, comme papa ou maman l'auraient fait (MacNeel, 1974)
Le thérapeute fait d'abord connaissance avec le Parent introjecté, comme si une personne nouvelle et inconnue était vraiment entrée dans la pièce. Au fur et à mesure que l'Etat du Moi Parent commence à faire l'expérience et à réagir aux invites du thérapeute, la qualité de l'interaction prend un tour plus thérapeutique, et le Parent est encouragé à faire quelque chose avec sa problématique.
Il s'agit donc d'élaborer les problèmes scénariques appartenant à la personne qui a exercé le parentage du client, et que celui-ci a pris à son compte. Plusieurs des méthodes utilisées pour le traitement de l'Etat du Moi Enfant peuvent l'être ici, si le Parent doit élaborer des expériences refoulées. Ou bien, le thérapeute peut intervenir pour le compte de l'enfant impliqué - le client - pour plaider pour lui et lui fournir protection, si le Parent introjecté est inébranlable ou continue, d'une façon ou d'une autre, à être destructeur. Au fur et à mesure que le Parent commence à répondre aux défis adressés au montage de son Scénario de vie, l'introject perd de sa qualité aliénante et compulsive. Les séquences de pensée, les attitudes, les réponses émotionnelles, les défenses et les séquences comportementales qui avaient été introjectées à partir d'une personne importante ne sont désormais plus inassimilés ou extéropsychiques au Moi, mais sont mis hors circuit, deviennent un Etat du Moi distinct, et s'intégrent dans un Etat du Moi Adulte néopsychique conscient (Erskine & Moursund, 1988).
Les Scénarios de vie susceptibles de créer le plus de problèmes, et les plus persistants, sont ceux qui sont maintenus à la fois par les Etats du Moi Enfant et Parent - c'est-à-dire qu'ils contiennent des éléments émanant des décisions de l'Enfant et des introjections du Parent. Pour faciliter la pleine intégration, un certain type de travail thérapeutique peut impliquer à la fois les Etats du moi Parent et Enfant, soit dans une séquence (le théra peute s'occupe d'abord du Parent, amène ce segment à la clôture, puis aide l'Enfant à explorer et à répondre à la nouvelle information), ou bien sous la forme d'un dialogue entre l'Etat du Moi Parent et l'Etat du Moi Enfant.
Notre travail incorpore également l'interaction directe avec l'Etat du Moi Adulte du client. Ceci est particulièrement important pour créer le contact, clarifier les objectifs, et pour que l'Adulte puisse être dans la position d'observateur allié, lors du travail avec les Etats du Moi Parent et Enfant.
Pour certains clients, il n'est pas nécessaire que la psychothérapie se centre sur les mécanismes de défense fixés, ou sur une régression vers les anciens traumatismes non résolus, ni sur la mise hors circuit des introjections ; mais qu'elle porte plutôt sur les questions concernant le cycle de vie de l'adulte.
Nous évaluons ce que présente le client à la lumière des transitions développementales, des crises, tâches corrélées à l'âge, et des expériences existentielles. Lorsque les transitions du cycle de vie et les crises existentielles sont considérées comme ayant du sens, et que le client a l'occasion d'explorer ses émotions, pensées, idéaux, et opinions empruntées, de parler des possibilités, alors peut émerger le sentiment que la vie et ses événements ont un sens.
Méthodes
* le questionnement
Nous entendons par questionnement une focalisation sans relâche sur une psychothérapie fondée sur la relation, orientée-vers-le-contact. Cela commence par le postulat que le thérapeute ne connaît rien de l'expérience du client, et que, pour cette raison, il doit tendre continuellement vers la compréhension de la signification subjective du comportement du client et de son processus intrapsychique. Grâce à une investigation respectueuse de l'expérience phénoménologique du client, celui-ci va devenir plus conscient de ses besoins, sentiments, et comportements, à la fois actuels et anciens. C'est lorsqu'un client arrive à la pleine conscience et l'absence de défenses intérieures qu'il va pouvoir intégrer dans un Etat du Moi Adulte fonctionnant pleinement, les besoins et sentiments qui se sont fixés jadis, à cause de ce qu'il a vécu.
Il est à souligner que c'est le processus du questionnement qui importe, peut-être plus encore que le contenu. Le questionnement du thérapeute doit se faire en empathie avec l'expérience subjective du client, pour aider à la découverte et à la révélation des phénomènes internes (sensations physiques, émotions, sentiments, pensées, croyances, sens, décisions, espoirs et souvenirs) et à la mise en évidence des interruptions de contact internes et externes.
Le questionnement commence avec un intérêt sincère à l'égard des expériences subjectives du client et de sa façon de construire du sens. C'est le thérapeute qui pose des questions sur ce que ressentent les clients, comment ils se perçoivent eux-mêmes et les autres (y compris le psycho- thérapeute), et quelles conclusions ils tirent. On peut poursuivre par des questions sur son histoire, quand a eu lieu telle expérience, et qui était important pour cette personne, à cette période de sa vie.
Nous utilisons le questionnement dans la phase préparatoire de la thérapie, pour rendre le client plus conscient de quand et comment il interrompt le contact.
Il est essentiel que le thérapeute comprenne la façon unique dont chaque client a besoin de trouver une personne qui stabilise, valide, répare, en assumant plusieurs fonctions de la relation que le client essaie d'assumer tout seul.
Une thérapie relationnelle orientée-vers-le-contact nécessite que le thérapeute s'harmonise à ces besoins relationnels-là et qu'il s'implique, par la validation empathique des besoins et sentiments, en fournissant de la sécurité et du soutien.
* l'harmonisation
L'harmonisation est un processus double : d'une part, le sentiment d'être pleinement conscient des sensations, besoins ou sentiments de l'autre personne, et d'autre part, la communication de cette conscience à l'autre personne. Bien plus que la simple compréhension, l'harmonisation est une perception kinesthésique et émotionnelle de l'autre ; c'est connaître son expérience en se mettant, métaphoriquement, dans sa peau. Une harmonisation réussie nécessite aussi que le thérapeute reste simultanément conscient de la frontière entre lui-même et son client.
Le fait de communiquer l'harmonisation valide les besoins et sentiments du client, et installe les fondations qui permettront de réparer les échecs des relations antécédentes. L'harmonisation apparaît dans ce que nous disons, "comme ça fait mal", "tu as dû avoir très peur", ou "tu avais besoin d'avoir quelqu'un près de toi". Le plus souvent, elle se communique par les mouvements faciaux ou corporels du thérapeute, qui signalent au client que ses affects existent, sont perçus, qu'ils sont signifiants, et qu'il créent un impact sur le thérapeute.
Souvent, le client ressent l'harmonisation comme si le thérapeute se déplaçait doucement à travers des défenses qui l'ont protégé de la conscience de ses échecs relationnels, des besoins et sentiments corrélés, pour entrer en contact avec dles parties de l'Etat du Moi Enfant oubliées depuis longtemps. Petit à petit, cela aboutit à une diminution des interruptions de contact externes, et à la dissolution correspondante des défenses internes. Le client peut alors exprimer de plus en plus ses besoins et sentiments : il est rasséréné et sûr que le thérapeute leur apportera une réponse empathique. Fréquemment, l'harmonisation procure un sentiment de sécurité et de stabilité qui rend le client apte à se souvenir, et à supporter la régression dans l'expérience de l'enfance, devenant ainsi pleinement conscient de la peine liée aux traumatismes, à l'échec de la (des) relation(s), et au Soi perdu.
Il n'est pas rare, cependant, que, lorsque le thérapeute communique son harmonisation, il rencontre une réaction de colère intense, de retrait, ou même une aggravation de la dissociation.
La juxtaposition de l'harmonisation faite par le thérapeute et le souvenir du manque d'harmonisation dans les relations importantes autrefois produit des souvenirs à haute charge émotionnelle, de besoins non satisfaits. Plutôt que de ressentir ces sentiments-là, le client peut réagir défensivement, avec peur ou colère, au contact offert par le thérapeute.
Le contraste entre le contact disponible avec le thérapeute, et le manque de contact dans
la vie autrefois, c'est souvent plus que n'en peuvent supporter les clients, alors ils se défendent contre le contact présent pour éviter les souvenirs émotionnels.
Il importe donc que le thérapeute travaille sur la juxtaposition avec tact. L'affect et le comportement exprimés par le client sont une tentative pour se désapproprier les souvenirs émotionnels.
Les thérapeutes qui ne tiennent pas compte des réactions défensives risquent de prendre à tort la réaction à la juxtaposition pour un transfert négatif et/ou de ressentir des sentiments contre-transférentiels intenses, en réponse à l'évitement du contact par le client.
Ce concept aide les thérapeutes à comprendre l'intense difficulté qu'a le client lorsqu'il mesure le contraste entre le contact actuel offert par le thérapeute, et la conscience que ses besoins d' une relation en contact n'ont pas été remplis autrefois.
Les réactions de juxtaposition peuvent signaler que le thérapeute va trop vite par rapport à ce que le client peut assimiler. Souvent, il est sage de retourner au contrat de thérapie et de clarifier le but de la thérapie. Il peut se révéler bénéfique, dans certains cas, d'expliquer le concept de juxtaposition. Mais, le plus souvent, un questionnement précautionneux au sujet de l'expérience phénoménologique de l'interruption de contact actuelle, révélera les souvenirs émotionnels de déception et de relations douloureuses.
Grâce à la dissolution des interruptions de contact, la relation offerte par le thérapeute fournit au client un sentiment de validation, de soin, de soutien et de compréhension - "quelqu'un est là pour moi".
Cet engagement du thérapeute est une composante essentielle pour la dissolution totale des défenses, et pour une résolution et intégration des traumas et relations non payées de retour.
* L'implication
L'implication, c'est à travers la perception du client, que nous pouvons l'appréhender - le sentiment que le thérapeute est en contact. Elle émerge du questionnement empathique du thérapeute vers l'expérience du client, et se développe par l'harmonisation du thérapeute avec l'affect et la validation des besoins du client. L'implication résulte de la pleine présence du thérapeute, avec et pour la personne, d'une manière qui corresponde au niveau de développement auquel fonctionne le client.
Elle inclut un intérêt sincère pour le monde intrapsychique et interpersonnel du client ; le thérapeute lui communiquera cet intérêt par l'attention, le questionnement et la patience qu'il manifestera. L'implication commence par l'engagement du thérapeute dans le bien-être du client, et par le respect de ses expériences phénoménologiques. Le plein contact devient possible lorsque le client fait l'expérience que le thérapeute :
a/ respecte chacune de ses défenses
b/ reste en harmonie avec ses affects et besoins
c/ est sensible au fonctionnement psychologique en corrélation adéquate avec les âges de développement
d/ s'intéresse à comprendre la façon dont ce client construit du sens
L'implication thérapeutique qui met l'accent sur la reconnaissance, la validation, la normalisation, et la présence, a pour effet de diminuer la méconnaissance interne, qui est une partie du processus défensif. Cet engagement permet aux sentiments précédemment désappropriés et aux expériences niées de parvenir à la pleine conscience. La reconnaissance, par le thérapeute, des sentiments du clients commence par une harmonisation à son affect, même si celui-ci est inexprimé. Grâce à sa finesse de perception de l'expression physiologique des émotions, le thérapeute peut guider le client vers l'expression de ses sentiments ou vers la reconnaissance du fait que ces sentiments ou sensations physiques sont peut-être le souvenir - le seul souvenir disponible. Dans certaines situations, l'enfant était peut-être trop petit pour disposer d'une mémoire linguistique et accessible.
Dans de nombreux cas de relation défectueuse, les sentiments de la personne n'ont pas été reconnus, et il peut s'avérer nécessaire, en psychothérapie, d'aider la personne à fabriquer un vocabulaire et à nommer ces sentiments.
Quant à la reconnaissance des sensations physiques et de l'affect, elle aide le client à revendiquer sa propre expérience phénoménologique. La reconnaissance inclut un alter ego réceptif, qui connaît l'existence de mouvements non verbaux, de tensions musculaires, d'affect, ou même de fantasmes et peut communiquer à leur sujet.
Il peut y avoir eu des époques, dans la vie des clients, où leurs sentiments ont bien été reconnus, mais non validés. Or la validation communique au client que son affect ou ses sensations physiques sont reliés à quelque chose de significatif dans leurs expériences. Valider, c'est faire un lien de cause à effet. La validation diminue le risque que le client méconnaisse intérieurement la signification d'un affect, d'une sensation physique, d'un souvenir ou de rêves. Elle procure au client une valorisation de son expérience phénoménologique, et, de ce fait, rehausse son estime de lui.
Par normalisation, on entend dépathologiser la catégorisation ou définition faite par le client ou quelqu'un d'autre à propos de son expérience interne, ou de ses tentatives comportementales pour s'en sortir.
Il peut s'avérer essentiel que le thérapeute contre des messages parentaux ou sociétaux comme "tu es fou de ressentir de la peur" par "n'importe qui serait effrayé, dans cette situation".
Bien des flash-backs, des fantasmes bizarres, des cauchemars, confusion, panique, besoin de se défendre, tout ça, ce sont des phénomènes normaux liés à la nécessité de se débrouiller dans des situations anormales.
Il est impératif que le thérapeute communique au client que son expérience est une réaction défensive normale, non pathologique.
La présence est créée par les réponses de soutien empathique du thérapeute, tant à l'expression verbale que non verbale émanant du client. Elle existe lorsque le comportement et la communication du psychothérapeute, en toutes circonstances, respecte et augmente l'intégrité du client. La présence inclut la réceptivité du thérapeute à l'affect du client - cela signifie recevoir l'impact de ses émotions, être touché et rester présent à l'impact de son émotion, sans devenir anxieux, déprimé ou en colère.
La présence exprime que le thérapeute est en plein contact, interne et externe. Elle communique qu'il est responsable, fiable, et qu'on peut dépendre de lui.
L'implication thérapeutique est maintenue par la vigilance constante du thérapeute à apporter un environnement et une relation de sûreté et de sécurité.
Il est nécessaire que le thérapeute s'harmonise de façon constante à la capacité du client à tolérer la conscience émergeante des expériences passées, de telle sorte qu'il ne soit pas à nouveau submergé dans la thérapie, comme cela a pu se produire lors d'une expérience passée.
Lorsque le questionnement vers les expériences phénoménologiques du client et les régressions thérapeutiques se produit dans un environnement apaisant et contenant, les défenses fixées, les besoins et sentiments issus de l'expérience passée peuvent être intégrés.
L'implication du psychothérapeute au travers des transactions qui reconnaissent, valident et normalisent les expériences phénoménologiques du client, et maintient une présence empathique, promeut une puissance thérapeutique permettant au client de dépendre en toute sécurité de sa relation avec le psychothérapeute.
La puissance est la résultante des engagements qui communiquent au client que le thérapeute est pleinement investi dans son bien-être.
La reconnaissance, la validation et la normalisation donnent au client la permission de connaître ses propres sentiments, de donner de la valeur à la signification de ses affects, et de les relier à des événements actuels ou anticipés. C'est pourquoi ce type de permission thérapeutique consistant à diminuer les défenses, connaître ses sensations physiques, sentiments, et souvenirs, et à les révéler, ne vient qu'après que le client ait expérimenté la protection au sein du cadre thérapeutique.
La protection thérapeutique ne peut être fournie adéquatement qu'après l'évaluation exhaustive de la punition intrapsychique, et lorsque le client est rassuré quant à l'engagement cohérent du thérapeute envers son bien-être. La punition intrapsychique comporte la perte du lien ou de l'attachement perçue par l'enfant, la honte, ou la menace de châtiment.
Les interventions protectrices peuvent inclure le soutien à une dépendance régressive, fournir un environnement fiable et sûr dans lequel le client puisse redécouvrir ce qui a été perdu à sa conscience, et cheminer dans sa thérapie de telle sorte que les expériences puissent être pleinement intégrées.
Il peut se produire que le client tente d'obtenir l'harmonisation et la compréhension en passant à l'acte (acting out) sur un problème qu'il ne peut exprimer ni avec des mots, ni d'aucune autre manière. Ce genre d'expression par passages à l'acte est en même temps une déflection[3] défensive contre ses souvenirs émotionnels, et une tentative pour communiquer ses conflits internes.
Si l'on confronte ou explique, on risque d'intensifier les défenses et de rendre la conscience des besoins et sentiments moins accessible. S'impliquer inclut, de la part du thérapeute, un questionnement gentil, respectueux, vers l'intérieur de l'expérience du passage à l'acte.
L'intérêt sincère manifesté par le thérapeute dans la communication, sa façon de l'honorer, souvent non verbale, d'ailleurs, est un aspect essentiel de l'implication thérapeutique.
L'implication peut nécessiter que le thérapeute soit actif pour faciliter l'activation de réponses qui étaient inhibées, comme par exemple crier pour obtenir de l'aide, ou se bagarrer, au lieu que le client fasse des rétroflections[4] refoulantes. Un autre mode d'implication peut consister à ce que le thérapeute révèle ses réactions internes, ou montre de la compassion à bon escient.
S'impliquer peut aussi inclure la réponse aux besoins développementaux antérieurs, d'une manière qui représente symboliquement la satisfaction du besoin ; mais le but de la thérapie orientée-vers-le-contact n'est pas la satisfaction des besoins archaïques, ce qui serait une tâche impossible et vaine. Le but visé par le thérapeute est la dissolution des défenses fixées qui interrompent le contact, car celles-ci interfèrent avec la satisfaction des besoins actuels et entravent le plein contact avec soi et les autres, dans la vie d'aujourd'hui.
On y parvient en travaillant à l'intérieur du transfert, pour permettre au conflit intrapsychique de s'exprimer à l'intérieur de la relation thérapeutique et d'y répondre par des transactions empathiques appropriées.
Une psychothérapie-orientée-vers-le-contact grâce au questionnement, à l'harmonisation et à l'implication répond au besoin actuel du client de trouver une relation nourrissante émotionnellement qui soutienne et soit restauratrice.
Le but de ce type de thérapie est l'intégration des expériences chargées d'affect et une réorganisation intrapsychique des croyances du client sur lui, les autres et la qualité de sa vie.
CONCLUSION
Le contact facilite la dissolution des défenses, et l'intégration de parties de la personnalité désavouées. Le contact rend possible que les expériences non résolues, non conscientes, désappropriées s'intègrent à un Soi cohérent.
Dans la psychothérapie intégrative, le concept de contact est la base théorique d'où découlent les interventions cliniques.
Le transfert, la régression des Etats du Moi, l'activation de l'influence intrapsychique de l'introjection, la présence de mécanismes de défense, tout cela est à comprendre comme indication de déficits antérieurs de contact.
Les quatre dimensions du fonctionnement humain - affective, comportementale, cognitive et physiologique - sont des guides précieux qui permettent de déterminer où quelqu'un est ouvert ou fermé au contact, et donc, notre direction thérapeutique.
L'un des buts majeurs de la psychothérapie intégrative est d'utiliser la relation thérapeute/client - la capacité à créer un plein contact dans le présent - comme une première marche pour accéder à des relations plus saines avec les autres, et à un sentiment de soi satisfaisant.
Grâce à l'intégration, la personne va être en mesure de faire face spontanément et avec souplesse à chaque moment, qu'il s'agisse de résoudre les problèmes de la vie ou de se relier aux autres.
[1]Edition française : "Un psychothérapeute à l'oeuvre" La Méridienne/DDB, 1998, traduction Hélène Cadot
[2]Le mot anglais "feeling" recouvre les sentiments et les émotions
[3]Terme de Gestalt therapie
[4]Idem