Extrait

Les concepts de transfert et de transactions sont examinés dans le cadre de la théorie d'Eric Berne sur les Etats du Moi. Des distinctions théoriques entre les fonctions transférentielles et transactionnelles sont établies, et les concepts de conflit intrapsychique et de diagnostic des Etats du Moi sont élaborés. L'auteur se fonde sur les concepts originaux de Berne concernant la dimension intrapsychique. Il établit une base théorique pour une psychothérapie complète aboutissant à l'intégration de fragments d'Etats du Moi.

Dans les écrits d'Eric Berne, figurent deux explications différentes du fonctionnement psychologique : le Moi, composé d'états séparés, qui ont des dynamiques intrapsychiques ; et la terminologie des Etats du Moi appliquée à des rôles comportementaux descriptifs. Voilà pourquoi, dans toute la littérature en Analyse Transactionnelle, il y a deux visions du transfert et des transactions qui, lorsqu'elles sont appliquées sur le plan clinique, entrent en contradiction.

L'un des objectifs de cet article est d'établir une distinction entre les deux théories berniennes des Etats du Moi, et de décrire comment chaque perspective théorique crée un concept de transfert et de transactions qui diffère significativement. La pratique de l'analyse transactionnelle en psychothérapie est notablement différente selon qu'on a recours à l'une ou à l'autre de ces théories.

Un deuxième objectif est de démontrer qu'un usage cohérent de la théorie développementale, relationnelle et intrapsychique de Berne sur les Etats du Moi, lorsqu'il s'agit de comprendre les dynamiques internes des transactions, peut conduire à une modalité de réponse sensible et efficace aux transactions et au transfert, et mener à une psychothérapie complète et intégrative.

Le transfert dans la psychanalyse

L'identification et la spécification, par Freud (1905/1955), de la dimension transférentielle de la relation psychothérapeutique est sa découverte la plus fondamentale (Langs, 1981). Au cours des quatre vingt dix dernières années, les psychothérapeutes se sont affrontés au problème de la compréhension des communications émanant des clients, et à la clarification  de la différence entre des transactions qui ne sont qu'une réaction à la situation en cours, et celles qui sont l'expression de conflits liés à des relations archaïques.

Dans le cas d'Anna O., Breuer et Freud (1895/1955) ont découvert le phénomène du transfert lorsqu'ils ont tenté de dévoiler les traumatismes de l'enfance qui étaient à la racine des symtômes hystériques. Ils commencèrent par considérer le transfert comme la résistance au dévoilement des traumatismes de l'enfance refoulés. Mais, autour de 1905, Freud décrivait l'importance qu'il attachait au fait de travailler avec le transfert et considérait le transfert et la resistance (les défenses) comme les deux principaux éléments de la psychanalyse.

Freud (1905/1955) décrivit le transfert par la métaphore suivante : il serait une réédition ou un fac-similé d'anciennes expériences émotionnelles. Dans le transfert, les patients remplacent l'expérience émotionnelle vécue avec une personne du passé, par une expérience similaire, mais avec le psychothérapeute. Dans la psychanalyse, cette description du transfert reste la base du traitement. Ce dont Greenson (1967) se fait l'écho, lorsqu'il décrit le transfert comme l'expérience émotionnelle d'un sujet, qui ne cadre pas avec la personne qui est là et qui, en fait, s'applique à quelqu'un d'autre. Le sujet est réactif de façon inappropriée à une personne dans le présent, comme si cette personne était quelqu'un du passé.

L'hypothèse de Freud sur l'origine du transfert était fondée sur la supposition que chaque individu, à travers la combinaison des dispositions innées et des influences reçues pendant les premières années, a acquis une méthode ou une série de méthodes de vie déterminées, qui se sont manifestées dans toutes les relations. Le patient en traitement analytique était considéré comme répétant ces attitudes et réactions. Freud comprenait le transfert comme le déplacement sur le thérapeute, de comportements et sentiments ayant été autrefois vécus et dirigés vers d'importantes figures de l'enfance (Freud, 1912/1958 ; 1915/1958). Ce concept psychanalytique initial de transfert est celui qui est le plus compatible avec les écrits  de Berne (1961)sur les Etats du Moi et leur application à une théorie des transactions et du transfert.

Dans les années 1910 et 1920, Freud a déplacé son centre d'intérêt d'une théorie des conflits relationnels de l'enfance précoce, tel qu'elle est représentée dans ses idées originales (1905/1955), vers une théorie qui mettait l'accent sur les pulsions biologiques innées. Anna Freud (1965), travaillant dans le cadre de ce modèle psychanalytique théorique des pulsions, a décrit les aspects projectifs défensifs du transfert comme étant l'externalisation des pulsions instinctuelles. Elle écrivit que de nombreuses situations de transfert rencontrées dans son travail tenaient au fait que la personne de l'analyste était utilisée pour représenter un ou plusieurs aspects de la personnalité du patient. Dans cette façon de voir, le transfert et la projection sont des concepts de la théorie des pulsions, qui décrivent une défense contre la prise de conscience d'une pulsion biologique spécifique.

Par exemple, un patient peut projeter une pulsion agressive sur le thérapeute, en la lui attribuant ainsi subjectivement, tout en vivant son soi comme étant l'objet de l'agression émanant du thérapeute. Le patient vit alors les pulsions qu'il a désavouées et clivées comme étant dans l'autre personne (Berg, 1977 ; Novik & Kelly, 1970). Ce concept de transfert ressortant à la théorie des pulsions n'est compatible avec aucune des théories berniennes de l'analyse transactionnelle (1961) intrapsychique ou descriptive.

Les descriptions du phénomène transférentiel de Berne (1961) sont plus étroitement reliées à celles des théoriciens de la théorie psychanalytique des relations d'objet, tels que Bollas (1979), Fairbairn (1952), Guntrip (1971), Khan (1974), et Winnicott (1965). Spotnitz (1969) décrit la vision du transfert chez les théoriciens de la relation d'objet comme "la tentative, opérée par le patient, de révéler les besoins objectaux présents dans la maturation fondamentale, auxquels il n'a pas été répondu durant les étapes du développement".(p.139)

Greenberg et Mitchell (1983) ont décrit en détail la bifurcation de la théorie psychanalytique actuelle vers une perspective relationnelle et une perspective pulsionnelle instinctuelle, ainsi que les approches correspondantes du transfert, qui diffèrent. Anna Ornstein (1989) a décrit le transfert comme une résistance "actuelle" : "Les transferts recèlent beaucoup d'éléments du passé, mais ils ne sont pas constitués uniquement de réactions archaïques, ils contiennent également une réaction actuelle au thérapeute". Lorsque le transfert est utilisé pour explorer le champ intersubjectif entre le client et le thérapeute, le comportement et les processus intrapsychiques inconscients du thérapeute deviennent une source importante d'information, utilisable pour comprendre le patient. Dans cette perspective, ce qui a l'air d'être du transfert est parfois une réaction actuelle au comportement et à l'affect du thérapeute (Stolorow, Brandschaft & Atwood, 1987). Ce type de clairvoyance quant au sens du transfert nécessite une acceptation empathique, par les thérapeutes, de leurs propres émotions et vécus d'enfance (Brandschaft, 1989).

Kohut (1971) distinguait deux types de transfert : ceux qui sont fondés sur des pulsions instinctuelles et ceux qui représentent des besoins développementaux précoces, tels que être approuvé, être reflété, et trouver un écho. Kohut nommait "trasferts du Soi-objet" les transactions exprimant des besoins développementaux fixés (p.23) et leur assignait une fonction réparatrice nécessaire au sein du processus thérapeutique. Dans la psychologie du Soi de Kohut (1977), le but thérapeutique du travail dans le transfert est de mener à leur achèvement complet les processus développementaux interrompus. Ce but est très différent de l'interprétation psychanalytique classique du transfert comme l'expression de pulsions instinctuelles.

D'autres auteurs psychanalytiques ont exploré la relation thérapeutique, en questionnant ce qui distingue le transfert de ce qui n'en est pas. Certains pensent que le transfert imprègne la relation thérapeutique (Brenner, 1979 ; Friedman, 1969 ; Langs, 1976), tandis que d'autres considèrent qu'il existe des relations neutres ou rationnelles dans la thérapie (Greenson, 1967 Lipton, 1977).

Baker (1982) a décrit la variable cruciale en psychothérapie comme étant "le transfert, où sont engagées des composantes appartenant à la fois à la relation réelle entre le patient et le thérapeute et à des composantes plus irrationnelles déplacées, projetées et externalisées, provenant de l'histoire du patient" (p.96) en termes de relations ayant eu lieu avec des personnes importantes, et leurs représentations internalisées.

Greenson (1967) a décrit deux types de relations dans la thérapie, qui ne sont pas à mettre sur le même plan que le transfert. Tant "l'alliance de travail" (p.191) que la "vraie relation" (p.217) sont d'ordre non archaïque et engagent le Moi raisonnable du patient. L'alliance de travail c'est la coopération du patient dans les tâches thérapeutiques et elle peut être teintée d'éléments de motivation archaïques (transfert). Il existe cependant un Moi observateur qui peut se tenir temporairement à distance de l'expérience et y réfléchir. Quant à la "vraie relation", elle "est sincère, orientée vers la réalité ou non distordue, par opposition au terme "transfert" qui a une connotation d'irréalité, de distorsion et de quelque chose d'inapproprié" (p.217). Le souci qu'a le patient du thérapeute, ou sa critique envers lui, voilà des exemples de la relation réaliste. Lipton (1977) utilisait le terme de "relation cordiales" (p255) pour décrire les transactions d'ordre non transférentiel entre patient et thérapeute. Dans sa théorie des transactions (1961), Berne sous-entendait l'idée d'une relation à la fois transférentielle et non transférentielle, entre le thérapeute et le patient.

Depuis ces vingt dernières années, la psychanalyse fait l'objet d'une réévaluation majeure concernant la pratique et la théorie. Berne (1961) fut un précurseur important dans le recadrage théorique en cours dans la psychanalyse, lorsqu'il s'écarta d'une théorie fondée principalement sur les pulsions biologiques innées et qu'à sa place, il envisagea le fonctionnement humain comme fondé sur les relations. Berne (1961, 1966) continuait à prendre en compte les motivations humaines primaires et innées telles que la faim de stimulus - avec sa sublimation qui est faim de reconnaissance et ensuite, faim de structure - mais chacune d'elles étant la manifestation du besoin de relations humaines. La contribution principale de Berne à l'avancement de la connaissance dans la théorie de la psychothérapie fut sa description des Etats du Moi et le recours à ces concepts pour identifier les transactions qui sont de l'ordre du transfert et celles qui ne le sont pas.

Comme il apparaît dans "Analyse Transactionnelle et Psychothérapie" (Berne, 1961), l'analyse transactionnelle a pris son essor en réaction et en progression par rapport à la théorie psychanalytique. Aujourd'hui, les analystes transactionnels peuvent gagner beaucoup, du point de vue de la théorie et dans les applications cliniques, à réexaminer, dans une perspective intrapsychique et intégrative, les conceptualisations théoriques originales de Berne ainsi que le débat théorique et méthodologique, qui a cours actuellement dans la psychanalyse.

Le premier concept du Moi chez Berne

La première conceptualisation des Etats du Moi chez Berne (1961) nous paraît être une extension logique et créative de la théorie structurale psychanalytique. Il procéda à une extension du concept de Moi de Federn (1953/1977) et élabora le concept d'Etats du Moi archéopsychiques et extéropsychiques. Ce faisant, Berne a préparé la voie à une explication du conflit intrapsychique comme relationnel et développemental plutôt que de s'appuyer sur le modèle pulsionnel freudien, de conflits intrapsychiques pulsionnels-sociétaux.Berne a éliminé les concepts théoriques de "ça" (1961, pp.61, 194, 198), et de "surmoi" (p.32) en postulant que ces dynamiques psychologiques sont des fonctions du Moi, composé de trois états d'organisation psychique : fixations de l'enfance, introjections d'éléments de la personnalité d'autres individus, et un état intégrant, en plein contact avec ce qui est en train de se passer, intérieurement et extérieurement. Il a fait l'hypothèse qu'"un Etat du Moi est la manifestation phénoménologique et comportementale de l'activité d'un certain organe psychique, ou organiseur" (Berne, 1961, p.24)

A lire les références et les notes qu'on trouve dans Analyse Transactionnelle et Psychothérapie (Berne, 1961), on pourrait déduire que Berne construisait sa théorie en se fondant sur les écrits d'auteurs psychanalystes tels que Breuer et Freud (1895/1955), Fairbairn (1952), Federn (1953/1977), Freud (1949), Klein (1949), et Weiss (1950), et sur les écrits des spécialistes du développement de l'enfant, Piaget (1932, 1951, 1954) et Erikson (1950). Berne pensait la fonction du Moi comme étant composée, pour partie, d'états archéopsychiques : "l'Etat du Moi de l'enfant réel" qui "a une organisation, une volonté et une  logique propres et, certainement un principe de négation" (Berne" 1961, p.198). Ces Etats du Moi archaïques consistent en fixations des étapes antérieures de développement. Ils sont la personnalité entière d'une personne telle qu'elle était lors d'une période antérieure de son développement (Berne, 1961, pp. 54-55, 192 ; 1964, p.23)

Les fixations du Moi archaïque se produisent lorsque les besoins cruciaux de contact dans l'enfance n'ont pas reçu de réponse, et que l'utilisation, par l'enfant, de défenses contre le malaise lié aux besoins non satisfaits est devenue une habitude (Erskine, 1980). Ces fixations se sont "moïfiées"[1] ou, en d'autres termes, ont constitué des unités de Moi ou des Etats du Moi séparés. Les Etats du Moi Enfant ou archaïques (Berne, 1964, p.23) sont maintenus plus tard dans la vie, par l'usage courant de mécanismes de défense (Erskine & Moursund, 1988).

Dans les termes de Berne, "l'Etat du Moi Enfant est un ensemble de sentiments, attitudes et séquences de comportements qui sont des reliquats de l'enfance de la personne" (1961, p.77).

Lorsqu'elle fonctionne dans les Etats du Moi Enfant ou archaïques, la personne perçoit les besoins et sensations internes, ainsi que le monde extérieur, comme elle le faisait à un âge développemental antérieur. Bien que la personne semble être en rapport avec la réalité qui a cours, il est possible qu'elle vive ce qui est en train d'arriver avec les capacités perceptives, émotionnelles, intellectuelles et sociales de l'enfant qu'elle était, au moment du refoulement et de la fixation. C'est cette notion théorique d'une fixation des Etats du Moi dans la durée et de la manifestation d'un Etat du Moi Enfant fixé, qui va être une pierre angulaire" pour l'investigation transactionnelle des transferts.

Construisant sur ses propres observations cliniques, Berne extrapola à partir du concept de Federn (1953/1977) et de Weiss (1950), sur la "présence psychique" des figures parentales qui influence tel comportement actuel chez un individu. Il postula l'existence d'Etats du Moi extéropsychiques. L'extéropsyché, ou Etats du Moi Parent, est la manifestation d'introjections de la personnalité de personnes réelles telles qu'elles ont été perçues par l'enfant à l'époque de l'introjection (Loria, 1988).

"De même que les perceptions, par l'enfant, des réactions, émotions et processus mentaux de la personne qui s'occupe de lui, diffèrent en fonction de ses divers stades de développement, de même le contenu et la fonction intrapsychique de l'Etat du Moi Parent varient en rapport avec l'âge développemental auquel s'est opérée l'introjection" (Erskine, 1988, p.17)

L'introjection est un mécanisme de défense (impliquant "désappropriation"[2], déni et refoulement) fréquemment utilisé lorsqu'il existe un manque de plein contact entre un enfant et les adultes responsables de ses besoins psychologiques. La personne importante va devenir une partie du Soi (Moi) et le conflit résultant du manque d'une satisfaction pleine se trouve internalisé, de sorte que ce conflit puisse être, en apparence du moins, géré plus facilement (Perls, 1978).

Les éléments introjectés à partir de la personnalité d'autrui vont se "moïfier" et former, théoriquement parlant, un Etat du Moi extéropsychique. Les prémisses théoriques, chez Berne, de l'existence d'Etats du Moi extéropsychiques sont une deuxième pierre angulaire dans la compréhension intrapsychique et intégrative des transactions et du transfert.

Berne oppose (1961) les Etats du Moi extéropsychique et archéopsychique à un Etat du Moi néopsychique (Adulte) qui prend en compte et intègre :

1. ce qui se passe à chaque instant, à l'intérieur et à l'extérieur de la personne
2. les expériences passées et les effets qui en résultent
3. les influences psychologiques et identifications avec les personnes qui comptent dans la vie du sujet

Cet Etat du Moi Adulte consiste en des comportements moteurs congruents avec l'âge actuel du sujet ; en un certain développement émotionnel, cognitif et moral ; en la capacité à être créatif ; et en la capacité à s'engager par un plein contact, dans des relations ayant du sens. Cet état néopsychique du Moi fonctionne sans le contrôle d'un Moi introjecté ou archaïque.

Les définitions originales des Etats du Moi par Berne fournissent la base conceptuelle d'une psychothérapie intégrante (Clarkson & Gilbert, 1988 ; Erskine, 1977/1979, 1987, 1988 ; Massey, 1989 ; Moiso, 1985, 1988 ; Novellino, 1985 ; Trautmann & Erskine, 1981) qui distingue les transactions non transférentielles (le Moi néopsychique en est à l'origine) de transactions qui peuvent avoir un caractère transférentiel. Je comprends les transactions transférentielles comme étant l'expression externalisée de conflits internes du Moi, entre des Etats du Moi extéropsychiques et archéopsychiques.

Illustrations et descriptions chez Berne

Dans chacun de ses écrits, (1961, 1964, 1966, 1972), Berne a enrichi ses définitions théoriques précises des Etats du Moi et de leur fonction intrapsychique par des illustrations et des exemples de comportements. Et, à partir de ces explications, s'est déployée une théorie des Etats du Moi nettement différente, qu'il nomma "descriptive" (Berne, 1972, p.13). Bien que ses définitions originales des Etats du Moi aient émergé à la fois de son expérience clinique et d'une extrapolation à partir des idées présentes chez les auteurs psychanalytiques, ses descriptions des Etats du Moi ne reposent pas sur sa théorie des "states of mind"[3], mais sur des métaphores essayant de souligner leurs "schémas de comportement associés"  (Berne, 1961, p.30).

En donnant des illustrations de la théorie des Etats du Moi prises dans la pratique clinique, Berne glisse d'une théorie relationnelle et développementale vers une compréhension descriptive et comportementale des Etats du Moi. Il considère alors les Etats du Moi comme équivalents des rôles ou d'un comportement typique de ces rôles. Par exemple, Berne utilise la formulation "une réponse Parentale" (1961, p.44) et "le rôle Parental de consoler" (1961, p.95) pour sous-entendre que la personne opère ses transactions à partir de son Etat du Moi Parent (extéropsychique). Ailleurs, une conduite "rationnelle" est assimilée à l'Etat du Moi Adulte (p.132). Il y a de nombreux autres exemples où les Etats du Moi sont identifiés de façon descriptive (1961, pp. 128-135 ; 1964, p.30 ; 1972, p.14).

Par ce glissement vers une orientation plus descriptive et comportementale, il semble que Berne ait notablement réduit l'extension créatrice qu'il avait menée lui-même à partir de la théorie psychanalytique. Il a diminué l'impact de ce que sa compréhension de la nature relationnelle des conflits intrapsychiques - tels qu'ils se manifestent au travers des transactions transférentielles - avait à offrir. Berne a changé de perspective et établi un autre ensemble d'analogies théoriques : les Etats du Moi  comme rôles et les transactions comme probabilités numériques des rôles (1972, p19).

En articulant sa théorie, Berne avait spécifié : "les Etats du Moi doivent être différenciés des rôles" (1961, p.233) ; et "les Etats du Moi ne sont pas des rôles mais des phénomènes. C'est pourquoi il est nécessaire de distinguer les Etats du Moi et les rôles sur le plan d'une description formelle" (1964, p.53-54). Et cependant, tout au long de ses écrits, il a en même temps défini la théorie des Etats du Moi à partir d'une perspective développementale, intrapsychique, et fourni des illustrations et des descriptions de rôles comportementaux. A un endroit, il reconnaît cette incongruence théorique : "pour la plupart d'entre eux, les exemples donnés concernaient les aspects comportementaux et sociaux de l'Enfant" (1961, p.235)

Les écrits de Berne recèlent  plusieurs incongruences théoriques qui résultent de son utilisation de descriptions illustrées prises comme des définitions. Moiso (Erskine, Clarkson, Goulding, Groder, & Moiso, 1988) a souligné que Berne n'était pas congruent sur le plan théorique : "On ne sait pas clairement quand il donne une définition, une description ou une métaphore" (p.7). En se référant à la métaphore de Berne assimilant l'Adulte à un ordinateur, Moiso ajoute : "ceci est une métaphore du fonctionnement de la néopsyché" (p.7)

Voici trois exemples de l'utilisation de métaphores comme définitions :

1/  la description, par Berne, de l'Adulte oeuvrant "délibérément et sciemment" (1961, p.69), comme si ces deux attributs n'étaient pas possibles dans l'Etat du Moi Parent ou Enfant

2/ "Le Parent a deux fonctions principales. La première c'est de rendre l'individu capable d'agir efficacement en tant que parent de vrais enfants" (1964, p.27). Avec cette description-là de la fonction de l'Etat du Moi Parent, Berne méconnaît que c'est l'Etat du Moi Adulte qui est en contact, aujourd'hui, avec les personnes de l'entourage. Le parentage "automatique" (1961, p.76), bien qu'économisant beaucoup de temps et d'énergie, ne se fait pas en contact avec l'enfant. Souvent il peut n'être que l'activation d'une introjection liée à une autre personne en un autre temps et lieu. Le parentage, pour être efficace, nécessite un plein contact dans le présent, entre le parent et l'enfant.

3/ "Dans l'Enfant résident l'intuition, la créativité, l'élan spontané et la jouissance" (Berne, 1964, p.27). Ceci est vrai de nombreux enfants, mais, pour autant, ce n'est pas une définition de l'Etat du Moi Enfant. Deux pages plus haut, Berne définissait l'Enfant comme "un Etat du Moi archaïque" (p.25) et ailleurs, il disait que c'était "un Etat du Moi faussé et qui s'est fixé"

(1961, p.54). Dans les cas où l'enfant a été négligé et/ou traumatisé, il se peut que l'Etat du Moi Enfant de l'adulte ne soit ni spontané, ni intuitif, ni joyeux. La fixation de l'enfant archaïque peut être de nature déprimée, inhibée ou défensive. Il est vraisemblable que ces symptômes apparaîtront plus tard dans la vie à travers les transactions avec les autres, et au cours de la psychothérapie.

Beaucoup des descriptions de Berne ont l'air d'être des chosifications de ses idées théoriques.

Ses analogies sont devenues des entités spécifiques. Dans sa théorie développementale originelle, Berne utilisait "Enfant adapté" et "Enfant naturel" (1961, p.77) comme des adjectifs pour décrire :

a/ la fonction d'un Etat du Moi archéopsychique soumis à l'influence interne opprimante d'un Etat du Moi

b/ la réponse naturelle d'un enfant, en l'absence de ce type de parentage critique ou contrôlant.

Les errances descriptives de Berne s'écartant de ses définitions théoriques initiales (1961) revêtent leur forme ultime dans ses derniers écrits. Les adjectifs utilisés précédemment pour décrire le fonctionnement intrapsychique sont devenus des noms, "Enfant adapté" et "Enfant naturel" (1972, p.104).

Un examen du Transactional Analysis Journal révèle que la plupart des auteurs décrivent les Etats du Moi en termes comportementaux ou descriptifs (Parent Nourricier, Parent Critique, Enfant Adapté, Enfant Naturel et Enfant Rebelle) ou comme un classement des processus psychiques (assimilant l'Etat du Moi Parent aux valeurs, l'Etat du Moi Adulte à la pensée, et l'Etat du Moi Enfant aux sentiments/émotions), ou encore, un mélange de ces concepts.

Lorsqu'il déplaça ses illustrations des Etats du Moi sur un plan descriptif, Berne ne tint pas compte de ses propres définitions originales, ni du diagnostic comportant quatre aspects (comportemental, social, historique et phénoménologique), qui est requis pour procéder à l'identification complète de l'Etat du Moi investi (Berne, 1961, pp. 75-76, 225).

Quand les psychothérapeutes et les auteurs d'articles sur la psychothérapie ne tiennent pas compte des procédures spécifiques de validation décrites par Berne dans son chapitre sur le diagnostic (1961, pp.68-80), alors la validité des définitions et de la théorie originale de Berne n'est pas maintenue, ce qui fait perdre à la théorie de l'Analyse Transactionnelle sa cohérence tant interne qu'externe. Si l'on ne procède pas à la corrélation des quatre aspects et qu'on n'utilise pas de façon cohérente la définition théorique originale de Berne, fondée sur la dimension développementale et relationnelle, la théorie des Etats du Moi devient une simple taxinomie de comportements. Une taxinomie descriptive de comportements est très utile dans les thérapies comportementales et de contrôle social, mais on y perd l'élégance de l'extension créatrice et logique faite par Berne à partir de la théorie psychanalytique. Et l'Analyse Transactionnelle perd son caractère de psychothérapie intrapsychique, phénoménologique et développementale, pour devenir plutôt une thérapie de l'ajustement comportemental.

En conséquence de quoi, le sens et la finalité de l'analyse des transactions, de la résolution du transfert vont être de nature différente et unique, selon qu'on se référera à l'un ou l'autre des deux points de vue des théories berniennes du fonctionnement humain. Chacune des approches théorique et pratique occupe une place valable dans la psychothérapie. D'ailleurs, la théorie de la communication et des rôles de Berne trouve son application dans des sphères non psychothérapeutiques. Mais comprendre et apprécier la théorie développementale et psychique initiale de Berne permet une meilleure cohérence théorique et une psychothérapie plus en profondeur.

Loria (1988) a fait ressortir ces contradictions théoriques, les difficultés inhérentes au mixage des concepts et au fait de dévier des définitions théoriques posées, sans le soutien d'une explication des nouvelles définitions théoriques. Vers la fin de ses écrits, Berne prédisait la confusion théorique et méthodologique inhérente au mélange des concepts. Il recommanda l'utilisation de "la grille conceptuelle" (1972, pp.409-413) pour que les discussions théoriques et les plans de traitement restent à l'intérieur d'une série établie de concepts et définitions. Berne concluait :

Si quelqu'un choisit une approche structurale ou biologique de l'Etat du Moi Enfant et si quelqu'un d'autre choisit une approche fonctionnelle et descriptive, il est impossible de concilier les deux... L'un va utiliser des noms structuraux, l'autre des adjectifs fonctionnels modificatifs, mais les noms et les adjectifs n'appartiennent ni au même cadre ni au même point de vue" (1972, pp.411-412)

Les déterminants des Etats du Moi

En 1964, Berne constatait que "l'Analyse Transactionnelle s'intéresse à diagnostiquer quel Etat du Moi a produit le stimulus transactionnel, et quel Etat du Moi a procédé à la réponse transactionnelle" (p.29). Pour déterminer si une transaction donnée est de nature transférentielle ou non transférentielle, il est nécessaire de mener "une analyse soignée et systématique des dynamiques psychiques des... stimuli et des réactions transactionnels" (Berne, 1966, pp.154), d'examiner quel Etat du Moi est investi, et l'existence éventuelle de conflits intrapsychiques. La vérification nécessaire pour savoir quel Etat du Moi est investi n'est possible qu'au moyen d'une quadruple corrélation des déterminants comportemental, social, historique et phénoménologique des Etats du Moi. "Le diagnostic complet d'un Etat du Moi nécessite que l'ensemble de ces quatre aspects soit pris en considération, et la validité finale d'un tel type de diagnostic n'est pas établie tant que les quatre aspects n'ont pas été corrélés"[4] (Berne, 1961, p.75).

Berne (1961, pp.74-76) a décrit les quatre déterminants du diagnostic des Etats du Moi dans l'ordre où il les voyait dans la psychothérapie : comportemental, social, historique et phénoménologique. Dans le but de faciliter l'intégration des éléments fragmentés du Moi, j'y ai ajouté la définition des critères identificateurs et les ai listés dans l'ordre de leur signification comme suit (Erskine & Moursund, 1988) :

1) le critère identificateur du déterminant phénoménologique est le vécu subjectif de la    personne, ce qui inclut les sensations, désirs et besoins, les sentiments, émotions et croyances qui sculptent la perspective de cette personne-là - le comment c'est et ce que c'est de vivre dans son expérience. Au nombre des critères phénoménologiques figurent les associations physiologiques, émotionnelles et cognitives d'événements significatifs de la vie, et les moments où des éléments de la personnalité de tierces personnes ont été introjectés. Cela inclut également l'expérience subjective des mécanismes de défense internes fixés lors de l'expérience d'être négligé ou traumatisé, ou des dévalorisations cumulatives.

2) le déterminant historique est glané essentiellement dans les souvenirs des événements dynamiques ayant eu lieu entre soi-même et les autres, ou de la relation entre père et mère, ou avec d'autres membres importants de la famille. Ces souvenirs peuvent fournir des informations essentielles concernant les conflits précoces. Le qui et le quand des premiers temps de la vie sont susceptibles de révéler des souvenirs de sentiments et comportements similaires dans l'enfance, ou des souvenirs de la personne parentale qui a fourni le prototype du comportement. Nous incluons également une investigation pour distinguer entre les défenses infantiles de la personne elle-même et les mécanismes de défense qui ont pu être introjectés à partir d'autres personnes importantes.

3) Le déterminant comportemental engage à se concentrer sur l'aspect développemental (Berne, 1961, p.154) : sur les gestes, les postures, le vocabulaire, le ton de la voix, ou autre particularité, et sur le contenu de ce qui est communiqué. L'évaluation du comportement observable en train de se dérouler chez la personne est comparée avec les données concernant le développement : l'interaction précoce mère-enfant ; le développement moteur et verbal ; le le développement émotionnel, cognitif et social ; les mécanismes de défense ; le développement moral ; et les transitions de la vie adulte. Toutes ces données comparatives fournissent un arrière-plan d'informations qui aide à déterminer le stade de développement auquel les émotions, comportements ou interactions se sont fixés. Il est possible qu'un comportement qui n'est pas congruent avec ce qui se passe dans le contexte actuel ait été normal et approprié chez un enfant à un âge développemental spécifique, ou qu'il indique comment le patient s'est défendu dans une situation traumatique.

Un comportement enfantin peut être l'indication de l'Etat du Moi Enfant actif de la personne, ou, plus vraisemblablement, indiquer l'Etat du Moi Enfant d'un parent introjecté.

Recouper l'évaluation développementale et le niveau historique ou phénoménologique peut s'avérer nécessaire pour déterminer si une réaction défensive spécifique, une séquence comportementale ou une émotion sont la manifestation d'un Etat du Moi extéropsychique ou d'une fixation archéopsychique.

4) Le quatrième déterminant permettant de vérifier quel Etat du Moi est investi est le déterminant social ou transactionnel. L'analyse des transactions fournit des éléments qui indiquent quel Etat du Moi est actif, la nature des dynamiques intrapsychiques, et quel stimulus émanant du thérapeute a servi à déclencher l'investissement. Les dynamiques intrapsychiques incluent l'influence de l'Etat du Moi Parent introjectéet le besoin de l'Enfant, d'avoir une relation en plein contact. Les transactions se déroulant entre la personne et le/la psychothérapeute, ou en groupe de psychothérapie, ou en thérapie familiale, entre deux personnes quelles qu'elles soient, peuvent refléter un transfert opéré soit à partir d'un Etat du Moi extéropsychique, soit à partir d'un Etat du Moi archéopsychique. Ces transferts sont susceptibles de prendre la forme de "rôles" comme "soumission", "impertinence" ou "rébellion" enfantines, des rôles d'adultes comme "celui qui résout les problèmes", ou l'échange d'informations ; ou le "rôle parental de consoler", ou de "contrôler" (Berne, 1961, p.93-96). Il est essentiel, lorsqu'on veut diagnostiquer les Etats du Moi investis et le conflit intrapsychique, d'évaluer ces rôles transactionnels ou entités sociales à l'intérieur du contexte d'une évaluation comportant la corrélation des aspects phénoménologiques, historiques et développementaux (comportementaux).

Les transactions de transfert sont l'expression des processus intrapsychiques et de l'investissement d'un Etat du Moi. Pour déterminer quelles transactions sont de nature non transférentielle et celles qui sont de nature transférentielle, il est nécessaire de valider quels Etats du Moi sont influents sur le plan intrapsychique et lesquels sont actifs. "L'analyse transactionnelle consiste à déterminer quel Etat du Moi est actif à un moment donné dans l'expression d'un stimulus transactionnel par l'agent, et quel Etat du Moi est actif dans la réponse fournie par l'interlocuteur" (Berne, 1966, p.223). C'est le recours attentif et systématique du diagnostic aux quatre aspects correlés qui va permettre de comprendre les transactions de transfert et de procéder aux interventions psychothérapeutiques.

Une perspective intrapsychique et intégrative

Lorsqu'on parle d'une approche intégrative intrapsychique de la psychothérapie par l'analyse transactionnelle, cela consiste à procéder à la déconfusion des Etats du Moi archéopsychiques et à assouplir les défenses archaïques fixées, à amender et/ou décommissionner les Etats du Moi extéropsychiques pour résoudre les conflits internes entre les Etats du Moi archéopsychiques et les Etats du Moi extéropsychiques, à faciliter l'intégration des expériences de la vie du sujet dans un Moi néopsychique. "C'est le processus consistant à faire un tout : c'est-à-dire prendre les aspects du Moi désappropriés, non conscients et irrésolus du Moi et faire en sorte qu'ils deviennent partie intégrante d'un Soi cohérent" (Erskine & Moursund, 1988, p.40).

Cette perspective intégrative de la psychothérapie est en fait uneextension et un affinage des concepts théoriques berniens originaux (1961) des Etats du Moi, des conflits intrapsychiques et des transferts qui s'ensuivent. Ces concepts sont renforcés par la prémice théorique selon laquelle c'est à cause de la fixation continue des mécanismes de défense, que les Etats du Moi archaïques ou extéropsychiques demeurent des Etats du Moi séparés et ne s'intègrent pas dans une conscience néopsychique. L'accès à la conscience néopsychique des besoins, désirs, souvenirs et influences extérieures reste bloqué par la fixation des défenses infantiles.

La notion de fixation renvoie à un modèle d'organisation d'affects, comportements ou cognitions relativement stable, datant d'une étape antérieure de développement, qui persiste dans la suite de la vie et peut régner sur celle-ci. Les modèles d'organisations défensives sont souvent formés lors d'un conflit interpersonnel au cours duquel un bénéfice psychologique quelconque a été obtenu, mais au prix de la perte d'autres bénéfices. La persistance de ces modèles infantiles d'organisation dans les étapes suivantes du développement aboutit à une incapacité à être spontané et souple pour résoudre les problèmes et se relier aux autres (Erskine, 1980).

Le conflit intrapsychique est le résultat de l'investissement d'un Etat du Moi Parent influent et d'une réaction interne de la part d'un Etat du Moi Enfant (Berne, 1961, pp.32, 42, 75-78, 241 ; 1964, p.26 ; 1966, pp.222-223). Par exemple, l'Etat du Moi Parent influent est parfois vécu phénoménologiquement comme une voix qu'on hallucine, une compulsion et/ou une inhibition. Le Parent influent peut être observable sous la forme d'une adaptation de type enfantin, d'un retrait ou d'une dépendance. Dans d'autres situations, l'Etat du Moi Enfant fixé se défend contre l'influence intrapsychique d'un Etat du Moi Parent. Le conflit intrapsychique peut être vécu, phénoménologiquement, soit comme la sensation d'un besoin massif, soit comme un manque de sensations et de désirs, soit comme une incapacité à penser ou une rage. On peut également l'observer sous la forme d'une résistance, d'une défiance, d'une régression en termes d'âge, d'une dépendance en termes de besoins, ou comme le manque d'un plein contact tant intérieurement qu'intérieurement. Les comportements observables sont susceptibles de fournir, du matériel pour une hypothèse partielle portant sur un Etat du Moi Enfant adapté étant sous l'influence intrapsychique d'un ou de plusieurs Etats du Moi Parent. Les expériences subjectives ou phénoménologiques relatées par la personne peuvent fournir des données complémentaires pour étayer cette hypothèse, ou conduire à une autre.

Le conflit intrapsychique est maintenu, pour une part, par le besoin de l'enfant d'être en relation (Fairbairn, 1952) le besoin d'attachement (Bowlby, 1969), ou celui d'être en contact (Erskine, 1989) et par la défense fixée de l'Etat du Moi archéopsychique contre la pleine conscience des besoins de contact, d'attachement et de relation. Ces besoins peuvent être manifestés comme loyauté envers l'Etat du Moi Parent  qui exerce une influence intrapsychique.

Berne décrit (1961) les dynamiques intrapsychiques des Etats du Moi comme représentant "les reliquats du petit enfant qui a réellement existé, aux prises avec les reliquats des parents qui ont réellement existé autrefois" puisque "elles reproduisent les luttes ayant réellement eu lieu dans l'enfance pour survivre au milieu des vraies personnes, ou, du moins, c'est ainsi que le patient le vit" (p.66).

Quand l'Etat du Moi archéopsychique est actif, (soit qu'on puisse le relater subjectivement soit qu'il soit observable), on peut en inférer, théoriquement, que l'Etat du Moi extéropsychique est investi et exerce une influence intrapsychique (Berne, 1961, p.42).

Je suggère que toutes les transactions émanant d'un Etat du Moi actif - qu'elles revêtent la forme d'une résistance, d'une rébellion, d'une soumission ou d'une dépendance - sont des aspects du transfert. Les transactions de transfert émanant d'un Etat du Moi Enfant sont un moyen pour obtenir que le conflit intrapsychique soit soulagé.

On suppose, théoriquement, que ce type de transfert s'accompagne d'une projection d'éléments d'un Etat du Moi extéropsychique, ou du fantasme d'une figure parentale auto-créee (Erskine, 1988, Moiso, 1985).Par la projection, le conflit intrapsychique se trouve à nouveau externalisé et la personne va y réagir comme si le stimulus venait de l'extérieur d'elle-même. Ceci apporte un soulagement temporaire du conflit intrapsychique.

Avec le transfert, le conflit intrapsychique peut à nouveau être comme il était dans l'enfance, c'est-à-dire transactionnel entre au moins deux personnes, avec l'espoir de parvenir à maîtriser enfin le vieux conflit interpersonnel. La projection sert également de défense contre la conscience du conflit intrapsychique et/ou contre le conflit historique réel et ses conséquences sur l'enfant.

L'expression active d'un Etat du Moi Parent peut aussi apporter un soulagement par rapport au conflit intrapsychique. L'Etat du Moi Parent actif est l'expression de la représentation intrapsychique d'une transaction d'ordre historique contenue à l'intérieur, et une réaction à cette transaction. On peut l'observer quand le sujet manifeste les pensées, sentiments et comportements de la personne introjectée et les adresse à quelqu'un d'autre. Ces transactions de l'Etat du Moi Parent actif sont également définies comme un aspect du transfert.

Une des procédures essentielles à une approche intégrative va être d'analyser les transactions pour déterminer celles qui sont d'ordre transférentiel et celles qui sont d'ordre non transférentiel. Le but de l'analyse des transactions est de déterminer quels Etats du Moi sont actifs, quels sont les Etats du Moi exerçant une influence intrapsychique, pour faciliter l'amélioration des fixations et des conflits intrapsychiques.

De nombreuses transactions ayant lieu dans le cours de la psychothérapie ne reflètent pas le transfert de fixations ou introjections précoces. Les transactions d'ordre non transférentiel sont l'expression d'un plein contact ici et maintenant entre le patient et le thérapeute, ou entre deux personnes quelles qu'elles soient. Leurs échanges peuvent inclure la discussion sur les problèmes de vie d'adultes matures, sur des réactions à la perte ou au changement, sur des dilemmes existentiels, sur une quête spirituelle, et sur les défis auxquels peuvent être confrontés des personnes conscientes, réactives et en évolution.

Les transactions de transfert sont l'expression d'un Etat du Moi archéopsychique ou extéropsychique et, partant de cela, elles reflètent un conflit intrapsychique entre deux Etats du Moi ou plus. Quant aux transactions d'ordre non transférentiel, ce sont toutes les expressions de l'Etat du Moi néopsychique non contaminé par des fixations, tant de l'Etat du Moi archéopsychique qu'extéropsychique.

L'analyse des transactions selon Berne

Eric Berne a pris ses distances avec une certaine théorie psychanalytique qui considérait toutes les transactions de patient à psychothérapeute comme un transfert des conflits et désirs de l'enfance. Le concept théorique bernien original de Moi néopsychique a rendu possible la compréhension des transactions Adulte-Adulte et, dès lors, l'analyse transactionnelle proprement dite, et non pas seulement une analyse du transfert. Les diagrammes des Etats du Moi chez Berne ont également permis de représenter graphiquement ce qui est de l'ordre du transfert et ce qui ne l'est pas.

Berne (1961) entame sa discussion sur l'analyse des transactions par la présentation d'un cas de "transfert" dans un groupe de thérapie. Il décrit une série de transactions des Etats du Moi Adulte-Adulte se déroulant entre Camellia et Rosita, suivie par la perception erronée, de la part de Camellia, des questions de Rosita, et un glissement chez Camellia, vers un Etat du Moi Enfant. C'est ce que Berne a décrit comme "transaction croisée" (1961, pp.93)

dans laquelle le stimulus est dirigé vers l'Adulte tandis que la réaction s'origine dans l'Enfant... ce qui est probablement la cause la plus fréquente de malentendus dans le mariage et les situations professionnelles, ainsi que dans la vie sociale. Cliniquement, c'est catalogué comme la réaction classique de transfert (1961, pp.93-94)

Dans ses écrits ultérieurs, Berne commence chacune de ses explications des transactions croisées par un exemple de "la réaction classique de transfert en psychanalyse" (1964, p.30 ; 1966, p.225 ; 1972, p.14) qui s'accorde tant bien que mal à sa théorie originale des Etats du Moi. Tous ses autres exemples de transactions partaient de la perspective de la théorie des rôles.

L'examen des présentations de cas en groupe proposées par Berne (1961, pp.91-96) montre qu'il s'est écarté de sa propre théorie intrapsychique (1961, pp.29-80, 191-210) et des interventions qui s'y rattachent (1961, pp.224-231) ; 1966, pp.233-258). Ses interventions, dans ce cas, étaient "motivées par le but ultime consistant à établir un contrôle social" (1961, p.95) et son évaluation selon laquelle les membres du groupe "n'étaient pas prêts à tenter une déconfusion de l'Enfant ou une résolution des conflits sous-jacents" (p.95). Son utilisation de l'analyse des rôles comme une analogie ou un substitut de sa théorie intrapsychique originale des Etats du Moi correspondait avec sa bifurcation vers la thérapie du comportement.

Sur la base de cette motivation, Berne modifia son concept théorique d'Etats du Moi et définit le transfert et les transactions de façon nettement différente de ce qui aurait été nécessaire pour maintenir la cohérence de sa théorie originale des Etats du Moi. Avec ses concepts théoriques d'Etats du Moi extéropsychiques, néopsychiques et archéopsychiques, les définitions des transactions et des transferts auraient dû se rattacher à l'expression du Moi,

de la fragmentation du Moi et du conflit intrapsychique. Mais l'utilisation par Berne, des rôles pour décrire les Etats du Moi, a conduit à des définitions des transactions qui décrivent la communication à partir d'une perspective comportementale. Une évaluation de la théorie des rôles de Berne, ou théorie descriptive, révèle une cohérence entre l'analogie des Etats du Moi comme rôles et les définitions des transactions qui en découlent. Avec sa théorie des rôles, Berne a développé une taxinomie utile des comportements, ainsi qu'une théorie de la communication (1961, p.128-135) cohérente avec une thérapie du contrôle social. Et pourtant, il manque toujours des définitions des transactions et des transferts qui soient cohérentes avec la conceptualisation originale des Etats du Moi par Berne.

Fonction des mécanismes de défense

En décrivant les transactions entre Camellia et Rosita, (1961, pp.91-97), Berne, malheureusement, ne discute ni cliniquement ni théoriquement les deux aspects significatifs de la réaction transférentielle : ce à quoi il se réfère en parlant de la "perception erronée" et du "glissement" (1961, p.93) dans les Etats du Moi de Camellia. Tout au long de ses écrits, Berne semble supposer que le lecteur est un familier des dynamiques propres aux mécanismes de défense. Il manque un maillon au concept bernien d'Etats du Moi : il ne définit pas, en effet, comment les défenses se rattachent à la théorie des Etats du Moi, comme c'est le cas lors du glissement de Camellia vers son Etat du Moi Enfant.  

Une perspective intégrative en Analyse Transactionnelle fait l'hypothèse que c'est à cause de la présence durable des défenses archaïques actives, que les Etats du Moi Enfant et Parent restent des Etats du Moi fixés et séparés, non intégrés dans un Moi Adulte (Erskine, 1988).

Tout élément du Moi non intégré dans le Moi néopsychique est susceptible de faire l'objet d'un déni ; si la tension intrapsychique s'accroît, les éléments non intégrés sont susceptibles d'être projetés. La projection rétablit un dispositif instable de défenses qui ont été développées, à l'origine, pour assurer à la personne quelque confort dans une situation tout à fait inconfortable.

Toujours dans une perspective intrapsychique intégrative, c'est avec les dynamiques de la perception erronée et du glissement qu'une évaluation phénoménologique et historique est posée comme hypothèse pour offrir des informations utiles sur le plan psychothérapeutique concernant les Etats du Moi de Camellia, les processus intrapsychiques et la fonction de sa perception erronée de Rosita (Erskine & Moursund, 1988). Berne s'en remet à la seule description d'un rôle social "le rôle parental consistant à réconforter et à excuser" (1961, p.95) - et à une description vraiment trop limitée du comportement en termes développementaux. Il n'y a pas assez d'informations permettant d'établir un diagnostic à partir de corrélations adéquates, pour déterminer quels Etats du Moi sont impliqués dans les transactions.

Berne n'a pas élaboré sur la signification de la perception erronée. Théoriquement, c'est comme s'il s'agissait de la projection sur Rosita, d'éléments d'une personne introjectée (Etat du Moi Parent) dans la vie de Camellia. Ce qui produirait un soulagement concomitant du conflit intrapsychique et le revécu parallèle d'un conflit externe. Camellia peut maintenant mettre en scène le conflit interne avec une autre personne qui va pouvoir jouer le rôle d'une "réaction parentale" (Berne, 1961, p.94) ce qui est une forme de transfert. La réaction parentale ne nécessite pas que la personne soit dans l'Etat du Moi Parent (Etat du Moi extéropsychique) mais il suffit qu'elle soit un écran de projection qui convienne (Joines, 1977 Moiso, 1985 ; Perls, 1944/1947).

L'analyse du transfert

Les transactions de transfert du type décrit ci-dessus impliquent un déni et une projection d'éléments d'Etats du Moi extéropsychiques, accompagnés d'une réaction émanant d'un Etat du Moi archaïque actif. Il peut également se produire des transactions à partir de l'Etat du Moi Enfant vers la perception erronée d'une réaction parentale émanant de l'autre personne. Il peut y avoir un transfert qui implique la projection d'éléments des Etats du Moi extéropsychiques et une réaction ou une transaction apparente à partir d'un Etat du Moi extéropsychique.

Ces transferts de relations historiques apportent un soulagement défensif par rapport à l'inconfort du conflit intrapsychique.

Les souvenirs sont détournés des transactions originelles de l'époque où les personnes avec lesquelles l'enfant avait besoin d'une relation initiale, d'attachement et de contact, ont justement été celles qui l'ont déçu, négligé ou maltraité. Dans ce type de transfert, les conflits interpersonnels de l'enfance sont revécus comme ayant leur origine dans les relations avec les personnes environnantes, ce qui fournit l'occasion de les résoudre.

Le soulagement du conflit intrapsychique peut également être obtenu par un transfert qui implique un déni et la projection d'éléments appartenant à un Etat du Moi archéopsychique.

Pour éviter d'avoir conscience de sentiments, besoins ou vécus inconfortables ou douloureux, le déni ou le refoulement originels doivent être maintenus. Pour y arriver, un des moyens, particulièrement quand ces sentiments sont stimulés, consiste à projeter des éléments de l'Enfant refoulés sur quelqu'un d'autre. Les transactions transférentielles peuvent prendre deux formes fondamentales :

1/ projection d'éléments des Etats du Moi archéopsychiques et transactions apparentes à partir d'un Etat du Moi extéropsychique actif

2/ projection d'éléments d'Etats du Moi archéopsychiques et réaction ou transaction apparente à partir d'un Etat du Moi archéopsychique

On trouve dans quelques cas d'abus sexuels transgénérationnels sur des enfants un exemple parlant de projection d'un Etat du Moi Enfant et de transactions à partir d'un Etat du Moi Parent actif. L'intention principale est de diminuer le conflit intrapsychique : les vécus douloureux contenus dans l'Etat du Moi Enfant sont l'objet d'un déni et sont projetés sur un écran approprié, et la cruauté verbale ou physique qui avait été historiquement introjectée dans un Etat du Moi Parent devient active à l'extérieur et se dirige vers quelqu'un d'autre.

Un deuxième exemple illustre la projection d'éléments d'un Etat du Moi Enfant et une réaction, par un Etat du Moi Enfant, à l'intérieur de la même personne. Dans certains cas cliniques, le patient peut s'engager dans un processus primaire, dans la pensée magique, et projeter un fantasme sur le psychothérapeute. La projection d'un fantasme archaïque fournit l'occasion au patient, d'exprimer au moyen du transfert sur le thérapeute, l'expérience du conflit intrapsychique telle qu'elle est vécue par l'Etat du Moi Enfant. Ce type de fantasmes des stades précoces de l'enfance fonctionne comme protection intrapsychique et peut être soit terrifiant et punitif, soit merveilleux et nourricier, ce qui ressemble aux descriptions faites par Kohut (1971, 1977), des transferts idéalisants. Qu'il s'agisse de l'un ou l'autres type de fantasmes, ils servent à la fois à maintenir le déni des effets produits sur l'enfant par celui/celle qui s'occupait de lui/elle, et à exprimer le besoin de protection par rapport au conflit intrapsychique (Erskine, 1988). Les psychothérapeutes qui confrontent régulièrement, ou définissent comme un jeu psychologique ou tentent d'éliminer ces projections d'un transfert soit terrifiant soit idéalisant, inhibent en fait le processus thérapeutique intrapsychique et intégrateur.

Un autre aspect du transfert, à savoir la projection d'éléments d'un Etat du Moi Enfant et une transaction apparente émanant d'un Etat du Moi Enfant chez la même personne est manifeste chez les psychothérapeutes qui projettent leurs propres expériences d'enfance sur les patients. Il est possible que les transactions apparentes soient l'expression d'un fantasme de quelqu'un de nourricier et bienveillant à l'intérieur de l'Etat du Moi Enfant qui fonctionne intérieurement pour protéger de la conscience d'un Etat du Moi Parent influent (Erskine, 1988 ; Erskine & Moursund, 1988 ; Moiso, 1985). Tant que l'enfant perturbé dispose d'un écran de projection approprié, le conflit intrapsychique peut être transféré et le déni contenu. C'est cette forme de transfert qu'on nomme habituellement contre-transfert.

Les transactions à double fond sont celles qui représentent le niveau psychologique de la motivation, hors de la conscience de l'Etat du Moi Adulte, et qui sont une expression transférentielle d'éléments appartenant aux Etats du Moi Parent ou Enfant. (Berne, 1961, pp.103-105). En 1964, Berne a décrit les transactions à double fond comme étant à la base des jeux psychologiques (p.33) et voici comment il définissait les jeux psychologiques auparavant (1961) :

des segments de séries de transactions plus longues, plus complexes, appelées scénarios. Les scénarios appartiennent au domaine des phénomènes transférentiels, à savoir ils sont des dérivés, ou, plus exactement, des adaptations de réactions et expériences de l'enfance. Mais pour autant, un scénario ne concerne pas qu'une simple réaction transférentielle ou situation de transfert ; c'est une tentative pour répéter, sous une forme dérivée, tout un drame transférentiel, souvent découpé en actes, exactement comme c'est le cas dans les scénarios de théâtre qui sont, en fait, des dérivés artistiques de ces drames initiaux de l'enfance (p.116)

Le scénario de vie est l'expression, sur une dimension macroscopique, du transfert ; les  jeux psychologiques sont un sous-ensemble du scénario, les transactions à double fond, ou leur niveau psychologique, sont la substance des jeux psychologiques, et l'analyse des transactions va dépendre du concept de Moi, divisé en Etats, et des dynamiques intrapsychiques qui s'ensuivent.

L'Analyse Transactionnelle est une théorie de la personnalité et des actes produits en société, une méthode clinique   de psychothérapie, fondée sur l'analyse de toutes les transactions possibles se déroulant entre deux ou plusieurs personnes, à partir et vers des Etats du Moi qu'on a spécifiquement définis...

Tout système ou approche qui ne serait pas fondé sur l'analyse rigoureuse de chaque transaction dans ses composantes spécifiques, en termes d'Etats du Moi, ne serait pas de l'Analyse Transactionnelle. (Berne, 1972, p.20)

Psychothérapie du transfert

La psychothérapie du transfert a lieu quand le thérapeute ne se contente pas des paroles ou comportements du client tels qu'ils se présentent, mais qu'il s'intéresse aussi à la signification inconsciente de ce que les patients disent ou ne disent pas, font ou ne font pas, au travers de leur communication affective et de leur expression corporelle. La compréhension du transfert vue dans une perspective intrapsychique et intégrative sur l'analyse des transactions nécessite qu'on ait une vision multifocale. Le transfert, en effet, peut être vu comme :

1. les moyens par lesquels le patient peut manifester son passé, les besoins liés aux stades de son développement qui ont été méconnus, et les défenses qu'il a érigées pour compenser
2. la résistance à une pleine remémoration et, paradoxalement, une mise en acte inconsciente des vécus de l'enfance
3. l'expression du conflit intrapsychique et le désir de trouver l'intimité dans les relations, ou
4. l'expression de l'aspiration psychologique universelle consistant à organiser  l'expérience et à créer du sens Novellino (1985) a insisté sur l'importance que revêt la compréhension de la fonction du transfert :

Dans n'importe quelle relation psychothérapeutique, le besoin non satisfait dans l'enfance va être projeté sur le thérapeute que le patient va vivre comme étant la source de l'éventuelle satisfaction du besoin (pôle positif du transfert) aussi bien qu'étant la source de l'éventuelle frustration de ce besoin (pôle négatif du transfert). Dans tous les cas, la caractéristique du transfert, c'est la présence simultanée de ces deux pôles (p.204)

Trautmann écrit en 1985 dans l'éditorial du Transactional Analysis Journal, qui récapitule la littérature d'Analyse Transactionnelle sur le thème du transfert :

La thérapie est efficace quand l'influence ou dialogue Parental interne s'externalise (transfert), ce qui permet la résolution des impasses et traumatismes de l'enfance, et l'émergence d'un Adulte plus fort, décontaminé, et plus intégré. L'approche spécifique qui sera utilisée pour effectuer cette résolution va dépendre du niveau de la fixation infantile : plus l'Enfant est symbiotique, plus il sera nécessaire que le thérapeute intervienne activement sur la relation de transfert (p.190).

Conclusion

L'application que fit Berne du principe du "rasoir d'Occam"[5] (1972, p.20) a rasé de trop près la théorie de l'analyse des transactions. Dans sa tentative pour atteindre la "simplicité" conceptuelle (Préface, p.XVI), et à l'"économie théorique" (p.21), Berne a en fait réduit les concepts théoriques à leur explication la plus simplifiée, et, ce faisant, je pense qu'il a perdu le sens et la profondeur de sa propre théorie. Il n'y a plus de cohérence théorique, ni interne, ni externe.

Lorsqu'il a réorienté la mise en relief de la théorie des Etats du Moi en s'éloignant des définitions originales pour se tourner vers des descriptions comportementales, Berne a initié un changement fondamental dans l'analyse des transactions. A la suite de ce glissement dans la métaphore théorique des Etats du Moi, on voit la focalisation du psychothérapeute se déplacer vers l'effet produit par la communication (transaction) sur le récepteur et sur les options dont dispose le patient pour modifier son comportement, afin d'améliorer l'efficacité de ses communications.

La méthodologie issue de ce changement d'approche théorique a certes souvent abouti à ce que le patient améliore ses talents sociaux, mais la signification inhérente aux transactions, en particulier celles qui sont d'ordre transférentiel, est perdue. Il n'y a désormais plus de base théorique dans la tête du psychothérapeute, pour orienter sa sensibilité vers le message psychologique interne, ou vers la communication désespérée dans l'expression inconsciente de la position existentielle (Berne, 1964), ou vers les croyances de scénario (Erskine & Zalcman, 1979). Les postulats originaux de Berne, qui avaient conduit à une compréhension du fonctionnement intrapsychique et à des niveaux de transactions psychologiques, face aux niveaux sociaux, se trouvent réduits et une forme d'analyse transactionnelle de type thérapie comportementale émerge alors. Ce glissement définissait la tâche de l'analyste transactionnel comme consistant à améliorer la communication et l'efficacité sociale, plutôt que de comprendre et d'améliorer le conflit intrapsychique qui est communiqué au travers du transfert.

Berne a développé deux théories différentes et bien distinctes des Etats du Moi et des transactions. Chacune d'elles a une finalité clinique spécifique et valable ; la théorie descriptive de Berne connaît de multiples applications dans l'univers social du comportement humain et de la communication. Dans cet article, j'ai voulu montrer que la théorie développementale, relationnelle et intrapsychique des Etats du Moi de Berne, et son utilisation cohérente pour comprendre les dynamiques internes des transactions, pouvaient mener à une modalité de réponse sensible et efficace aux transactions et au transfert, et conduire vers une psychothérapie complète, résultant dans l'intégration des Etats du Moi fragmentés.